Écureuil du printemps, écureuil de l’été, qui domines la terre avec vivacité, que penses-tu, là-haut, de notre humanité ?
– Les hommes sont des fous qui manquent de gaieté.
Écureuil, queue touffue, doré trésor des bois, ornement de la vie et fleur de la nature, juché sur ton pin vert, dis-nous ce que tu vois ?
– La terre qui poudroie sous des pas qui murmurent.
Écureuil voltigeant, frère du pic bavard, cousin du rossignol, ami de la corneille, dis-nous ce que tu vois par-delà nos brouillards ?
– Des lances, des fusils menacer le soleil.
Écureuil, cul à l’air, cursif et curieux, ébouriffant ton col et gloussant un fin rire, dis-nous ce que tu vois sous la rougeur des cieux ?
– Des soldats, des drapeaux qui traversent l’empire.
Écureuil aux yeux vifs, pétillants, noirs et beaux, humant la sève d’or, la pomme entre tes pattes, que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux ?
– Monter le lac de sang des hommes qui se battent.
Écureuil de l’automne, écureuil de l’hiver, qui lances vers l’azur, avec tant de gaieté ces pommes… que vois-tu ? – Demain tout comme Hier.
– Les hommes sont des fous et pour l’éternité.
Vous souvenez-vous du petit cheval blanc, « tous derrière et lui devant », chanté par Brassens ? Et de cette ronde qu’on pourrait faire autour du monde, « si tous les gens du monde voulaient s’donner la main » ? Alors, vous connaissez Paul Fort, écrivain aujourd’hui dédaigné que ses pairs sacrèrent prince des poètes au début du XXe siècle. Jeune homme, il créait le théâtre d’Art, futur théâtre de l’Œuvre, et faisait connaître les grands textes symbolistes. Mais, très vite, ce sont ses Ballades françaises qui séduisent les lecteurs. Au fil des décennies, plus de quarante volumes paraissent, préfacés par Apollinaire, Paul Valéry, Frédéric Mistral… Du beau monde pour célébrer ces poèmes à l’allure naïve de chanson populaire mais au mouvement savant. Parce qu’on repère des vers réguliers sous leur prose rimée, comme les alexandrins qui composent les strophes ci-dessus. Un écureuil y est à la fois le symbole d’une nature innocente et gaie, et un sage qu’on questionne, vigie comme la sœur Anne du conte sanglant Barbe bleue. Tandis que le poète multiplie les qualificatifs pour louer le petit rongeur, c’est en phrases lapidaires que l’animal décrit le combat des hommes, confondant camps et drapeaux. Paul Fort a beau être patriote jusqu’à s’amuser à préférer les femmes tricolores aux blondes et aux brunes, il connaît l’absurdité du sang versé. Sa dénonciation date de la Première Guerre mondiale ; elle est vieille d’un siècle. Mais nul besoin d’un devin pour prédire ce qui attend le nouveau gouvernement. Demain tout comme hier, pleurons la guerre.