On peut être poète mais aussi prophète. Comme Victor Hugo qui, dès 1855, prédit une monnaie européenne commune. Et qui, en 1870, rêve de paix universelle, alors que la France s’apprête à déclarer la guerre à la Prusse. C’est en exil, à Guernesey, qu’il plante le chêne des États-Unis d’Europe. Le grand arbre est encore debout.  

En plantant le chêne des États-Unis d’Europe
Dans le jardin de Hauteville House
Le 14 juillet 1870


Oh
 ! qu’il croisse ! qu’il monte aux cieux où sont les flammes ! 
Qu’il ait toujours moins d’ombre et toujours plus d’azur, 
Cet arbre, en qui, pieux, penchés, vidant nos âmes, 
Nous mettons tout l’homme futur
 !

Qu’il ait la majesté des étoiles profondes 
Au-dessus de sa tête, et sous ses pieds les flots
 ! 
Et qu’il soit moins ému du murmure des mondes 
Que des chansons des matelots
 !

Qu’il soit haut comme un phare et beau comme une gerbe
 ! 
Qu’il soit mobile et fixe, et jeune, même vieux
 ! 
Qu’il montre aux rocs jaloux son ondoiement superbe, 
Sa racine aux flots envieux
 !

Qu’il soit l’arbre univers, l’arbre cité, l’arbre homme ! 
Et que le penseur croie un jour, sous ses abris, 
Entendre en ses rameaux le grand soupir de Rome 
Et le grand hymne de Paris
 !

Que, l’hiver, lutteur nu, tronc fier, vivant squelette, 
Montrant ses poings de bronze aux souffles furieux, 
Tordant ses coudes noirs, il soit le sombre athlète 
D’un pugilat mystérieux
 !

Car l’orage est semblable au sort qui se déchaîne, 
La vie est un guerrier, les vents sont des bourreaux, 
Et traitent sous les cieux le héros comme un chêne, 
Et le chêne comme un héros.

Les Quatre Vents de l’esprit, 1881