Marqué par l’engrenage des forces qui avait conduit à 14-18, le romancier Jules Romains fut l’un des hérauts du pacifisme et de l’idée européenne durant l’entre-deux-guerres – jusqu’à la naïveté : tous les hommes ne sont pas de bonne volonté. Il mettra sa notoriété au service du projet de Communauté européenne de défense de 1950.
Ce n’est pas ainsi que je rêvais
De commencer le chant de l’Europe.
Et moi qui avais tant attendu,
Qui remettais d’un midi à l’autre
Et de mois de juin en mois de juin
L’irréparable essor de mon hymne !
Je n’étais jamais assez digne,
Jamais assez purifié.
J’attendais un surcroît de vie
Et quelque excellence du temps.
Un jour, tout ce qu’il me faut eût été là.
J’aurais choisi le matin le plus allègre,
Un coup de clarté évidemment heureux,
Une disposition de l’univers
Qui fût propice et consentante au poème ;
J’aurais guetté un silence des douleurs,
Un relâchement de toute chair crispée
Pour chanter soudain l’Europe, mon pays.
Mais cette guerre a beuglé d’abord.
Et je commence ta louange,
Europe, dans un grand tumulte ;
Je dis le chant de ta naissance
Dans le cri même de ta mort.
Jules Romains, Europe, Éditions de la NRF, 1916 © Éditions Gallimard