L’État de droit est un système juridique et politique dans lequel l’ensemble des individus, des institutions et des autorités publiques, y compris les gouvernants, est soumis au droit. Cela signifie que le pouvoir est exercé conformément à des normes juridiques claires, stables, prévisibles et équitablement appliquées, qui sont établies démocratiquement et protégées par une constitution ou un cadre légal supérieur. L’État de droit garantit ainsi la primauté du droit, l’égalité devant la loi, la séparation des pouvoirs, l’indépendance du pouvoir judiciaire et la protection des droits fondamentaux. Il vise à prévenir l’arbitraire et les abus de pouvoir en assurant que toutes les actions des autorités publiques sont légalement fondées et susceptibles de contrôle juridictionnel. Par ailleurs, l’État de droit et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 sont intrinsèquement liés, car ils partagent l’objectif commun de protéger les droits fondamentaux et la dignité de chaque individu. En somme, la Déclaration universelle des droits de l’homme fournit les principes et les normes éthiques fondamentales concernant les droits humains, tandis que l’État de droit constitue le mécanisme par lequel ces principes sont intégrés dans le système juridique d’un pays.

Quant à la philosophie profonde de l’État de droit, elle est de créer une société où le droit sert de fondement à la justice et à la liberté, en équilibrant le pouvoir de l’État avec les droits des individus. En fait, le droit n’est pas ici simplement un ensemble de règles et de procédures, c’est la garantie plus fondamentale qui permet aux individus de se protéger contre l’arbitraire de tel ou tel pouvoir. Les racines philosophiques de l’État de droit sont celles des Lumières, de Montesquieu à Kant, en passant par Rousseau : primauté de la raison et de la délibération, reconnaissance des droits inaliénables de l’homme tels que la liberté et l’égalité, ainsi que de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté populaire (avec toutes les controverses possibles autour de ce qu’est la volonté générale)… J’y ajoute la notion de dignité, qui n’est pas sans reconnaissance dans la sphère publique. Dans une décision du 27 juillet 1994 relative aux lois de bioéthique, le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation comme un principe à valeur constitutionnelle.

 

« Le droit serait-il le “Surmoi” de la démocratie ? »

 

Aujourd’hui, malheureusement, tout menace l’État de droit dans la mesure où les populismes sont des visions caricaturales de la souveraineté démocratique, comme s’il s’agissait de laisser le peuple faire ce qu’il veut. L’État de droit rappelle que les démocraties actuelles ne se sont pas autogénérées : elles s’inscrivent dans une généalogie historique de la démocratie, au sens où les droits fondamentaux ont été conquis de dure lutte. Chaque démocratie est donc également la garante du respect de ces droits fondamentaux, ce qui n’empêche nullement qu’elle produise à l’instant t, en respectant les procédures et la solennité de l’État de droit, de nouvelles normes, voire des nouveaux droits fondamentaux. J’ai entendu le nouveau ministre de l’Intérieur déclarer que l’État de droit n’était « pas intangible, ni sacré ». Tout l’enjeu d’une démocratie qui ne doit pas devenir une tyrannie de la majorité, c’est de savoir comment elle articule sa souveraineté avec des droits fondamentaux acquis, qui lui préexistent, et les normes qui ne sont pas de valeur constitutionnelle et qui peuvent varier selon le jeu démocratique. Il est donc toujours dangereux de venir remettre en cause l’idée que la souveraineté démocratique est précisément ce régime qui a la conscience de la nécessité de la limitation des pouvoirs et qu’il existe des droits fondamentaux à protéger. Si je participe à une réflexion du barreau de Paris, à l’initiative de l’avocat Jean-Michel Darrois, sur la question de l’État de droit, c’est précisément pour analyser les menaces auxquelles celui-ci est confronté, et comment il peut s’en prémunir. Et déterminer aussi comment il est possible de restaurer la confiance citoyenne dans l’État de droit, qui est sans doute le plus sûr rempart non seulement contre la tyrannie de la majorité, mais encore contre la tyrannie des minorités.

Le droit serait-il alors le « Surmoi » de la démocratie ? Rappelons ce qu’est le Surmoi dans la théorie psychanalytique : l’intériorisation des normes, des valeurs morales et des interdits sociaux qui nous précèdent, et à partir desquels l’idéal du Moi se constitue. Donc, oui, on pourrait pousser l’analogie – avec d’ailleurs une même crainte concernant les frictions entre démocratie et droit que celles entre Moi et Surmoi, tant les écarts peuvent être frustrants, étouffants. Mais il est certainement plus juste de dire que toute la dynamique Surmoi-Moi-Ça traverse chacune des entités : autrement dit, le « peuple » n’est pas le « Ça » (le pôle pulsionnel) ni même le « Moi » dans une configuration où l’« État de droit » serait le « Surmoi » ; chaque entité – si tant est qu’il soit possible de penser de façon si monolithique – peut être travaillée par des « conflits » et s’autorégule en fonction du « comportement » de l’autre. 

Conversation avec ÉRIC FOTTORINO