Pour bien saisir les liens intimes et singuliers noués par les Anglais avec la nature, il faut se référer au livre The Country and the City de Raymond Williams (1973). L’auteur rappelle que le mot country est un des plus puissants dans l’imaginaire des Anglais, toutes classes sociales confondues. Il renvoie à deux notions : l’idée de la nation, country signifiant pays ; mais aussi country comme part of land, une partie de la campagne. Cette polysémie donne au mot une grande résonance : un sentiment fort d’appartenance nationale. Pour être anglais, il faut aimer la campagne ! 

La ville est fortement exécrée. À la campagne au contraire, on retrouve des valeurs simples, la vie naturelle, la paix, l’innocence, la simplicité, la frugalité. C’est une sorte d’idéal. La quête d’un paradis perdu et réparateur, où on retrouverait une solidarité villageoise. Paradoxe, ce rêve de campagne idyllique s’est construit au xviiie siècle, en pleine révolution industrielle. Pour les Anglais, être dans la nature, c’est être partie prenante d’un réseau de vivants, des animaux, des végétaux, dont on observe la vie étrange. Ces êtres sont considérés comme des habitants au même titre que les humains. Il faut renouer des relations avec eux. On y met des sentiments, un peu de nostalgie. La situation de l’homme est beaucoup moins en surplomb. La campagne est un plaisir esthétique et une source d’émotions. L’individu devant un paysage ne voit pas des moutons, mais la beauté du blanc sur un fond vert. Ce n’est donc pas pour rien que les Anglais sont les pionniers de l’écologie moderne. Les associations de défense de la nature sont très puissantes. Tout le monde est concerné par les oiseaux, tout le monde les nourrit, sait les nommer, les reconnaître. 

Dans les fameux jardins à l’anglaise, on ne cherche pas à montrer l’empreinte de l’homme. On les construit comme une petite œuvre d’art où la main de l’homme disparaît. Il n’y a pas de symétrie. Les lignes sont plus floues. On laisse faire la nature, convaincu qu’elle va créer un ordre harmonieux. L’homme n’est là que pour la guider. La campagne anglaise est une sorte de grand jardin. Je pense au magnifique ouvrage de Keith Thomas, Dans le jardin de la nature. Ce n’est pas la nature sauvage comme l’entendent les Américains, mais une nature très familière. L’homme l’accompagne et l’admire. Quand les Anglais regardent un paysage, ils pensent aussi aux hommes qui sont passés là avant, aux marques qu’ils ont laissées, comme dans les terres tatouées du Kent où de grandes traces très anciennes, les hills figures, montrent des chevaux ou un géant armé d’un gourdin. 

Enfin, les cimetières illustrent bien la relation à la nature des Anglais. Aucun marquage au sol ne délimite une tombe. Seule une pierre est plantée à l’endroit de la tête. Le reste est une pelouse, une étendue d’herbe, un jardin où déambuler. On marche sur les morts. 

 

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO