C’est un épisode raconté dans Première personne, le récit autobiographique dicté par Poutine à la journaliste Natalya Guevorkian : lors de son enfance à Leningrad, « Volodia » aimait avec ses amis courir après les rats de son immeuble. Un jour, armé d’un bâton, il pourchassa l’un d’eux jusqu’au fond d’un couloir. Acculé, sans aucune porte de sortie, l’animal se jeta alors « sauvagement » sur le jeune garçon. Surpris, effrayé, celui-ci battit en retraite jusqu’à réussir à lui claquer la porte au nez. « Là, dans la cage d’escalier, j’ai appris une leçon rapide et durable sur la valeur de se battre désespérément lorsqu’on est pris au piège dans un coin. »

L’anecdote est évidemment discutable, comme toutes les histoires de ce type. Elle n’en est pas moins révélatrice de l’image que Poutine souhaite adresser au monde, ainsi que de la conception qu’il se fait des rapports de domination. Qui est le rat, qui est l’enfant, dans le drame qui se joue sous nos yeux ? Un mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, le conflit s’enlise peu à peu dans une guerre de tranchées qui ne contente personne. D’un côté, une armée russe déjà décimée – près de 10 000 morts selon un document publié par erreur par Moscou –, contrainte à une fuite en avant dans la violence pour écraser son adversaire. De l’autre, des forces ukrainiennes dont la résistance acharnée n’empêche pas le martyre des populations civiles, que ce soit à Marioupol, Kharkiv ou Louhansk.

Dans cette partie, Poutine reste le maître du jeu

Comment dès lors mettre fin à cette guerre meurtrière ? Y a-t-il un scénario pour la paix ? Ce numéro du 1 se penche sur le rôle de la diplomatie dans ce conflit, en s’appuyant notamment sur la longue expérience de Dominique de Villepin. Dans un échange à bâtons rompus, l’ancien Premier ministre dessine les pièces du grand échiquier qui se met en place, plaide pour la stratégie collective et cherche l’ouverture capable de dessiner une issue au conflit : « À un moment donné, il faut faire voir à quelqu’un qui ne le voit pas ce qu’il n’avait pas imaginé. »

Dans cette partie, Poutine reste toutefois le maître du jeu, comme le rappelle l’ancien diplomate François Heisbourg. Malgré les déboires de son armée, le maître du Kremlin n’a pas encore dévoilé tous ses coups ni proclamé ses intentions véritables. Et il refuse pour l’instant de rejoindre la table des négociations, où l’invite en personne le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, prêt à une danse avec le tsar sous haute tension. La perspective paraît à ce stade peu probable. Car, dans sa situation, Poutine joue à la fois le rôle du rat et de l’enfant au bâton. Ce qui le rend aujourd’hui doublement dangereux.