Confusion mortelle
BERTOLT BRECHT (1898-1956)Temps de lecture : 2 minutes
On associe souvent les dictatures au silence. Mais le pouvoir, c’est d’abord d’obliger à parler. Bertolt Brecht a vu les mots allemands changer de sens avec le nazisme. Contre cette invasion de la pensée, il répond dans une langue des plus simples pour « épeler l’ABC de la vérité », selon l’expression de George Steiner.
Quand l’avocat incorruptible
Tenant le code à la main
Se dressa en face des vieux juges
S’avança vers la table aux marques profondes
Creusées par les coudes des accusateurs
Avec devant lui les souliers sanglants de l’assassiné
Et voulut commencer sa plaidoirie
Des soldats ôtèrent la table sous ses mains
Jetèrent, sous ses yeux, les souliers aux ordures
Arrachèrent le livre de ses doigts et lui donnèrent à la place
Un nouveau code avec des lois nouvelles.
Mais les auditeurs quittèrent en hâte la salle
Prétextant quelque affaire ou laissant voir leur peur.
L’accusateur feuilleta le nouveau code
Et reconnut les mots anciens aux pages habituelles, à ceci près qu’ils désignaient
Des choses différentes : assassin à présent
Désignait l’assommé. Les maisons saccagées
On les disait en construction. Le pillage se nommait
Réception d’offrandes. Par force se disait volontairement.
Celui qui exerçait un pouvoir arbitraire assumait une responsabilité
Mais qui lui demandait compte de son bien s’appelait
Agitateur. La vérité de même
Était dite mensonge. Bien d’autres mots encore
Étaient changés, mais
Ils n’avaient pas disparu.
Profondément troublé, l’accusateur se plongea
Dans le nouveau code. Il y a donc
Toujours un droit, se disait-il, il n’est seulement plus le même ?
Voilà qui se peut concevoir. En un temps où tout change
Le droit peut lui aussi changer ! Pourquoi pas ?
Traduit de l’allemand par Gilbert Badia et Claude Duchet, extrait de Poèmes, 5 (1934-1941) © L’Arche Éditeur, 1967
« Il faut les prendre au mot »
Olivier Mannoni
Traducteur de l’édition critique du Mein Kampf de Hitler aux éditions Fayard et auteur du récent Coulée brune : comment le fascisme inonde notre langue, Olivier Mannoni analyse pour n…
[Cash]
Robert Solé
LE MOT « femme » fait donc partie de la liste noire établie par l’administration Trump. C’est dommage, mais pourquoi ne voit-on toujours que le côté négatif des choses ?...
BANNED!
Benoît Bonnemaison-Fitte, dit Bonnefrite, cultive un art de l’affiche radical qui affirme la primauté du geste et se plaît aux expérimentations artisanales. Habituellement engagé aux côtés de compagnies de théâtre, de lieux culturels ou encore d’architectes aux préoccupations écologiques, il met …