Philosophies de la gauche
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Le débat qui oppose les « frondeurs » à Macron et Valls traverse aussi toute l’Europe, comme on le voit avec Tsípras en Grèce et Podemos en Espagne. Il oppose en vérité deux philosophies de l’économie. La première, héritière de Keynes et de Marx, qui se considère comme la seule et unique « vraie gauche », défend une thèse simple et robuste : l’urgence, c’est l’augmentation des bas salaires, du Smic et des minima sociaux. Ce n’est pas seulement une question de justice sociale, mais aussi de bon sens : en effet, l’argent des « petits ménages » sera dépensé aussitôt ; donc, les carnets de commandes des entreprises se rempliront ; les patrons seront obligés d’embaucher pour répondre à la demande et, du coup, l’État aura moins de chômeurs à indemniser et davantage de taxes rentreront dans ses caisses. Tout le monde y trouvera son compte : les pauvres seront moins pauvres, les patrons verront leurs entreprises refleurir et les caisses de l’État seront moins vides ! Veut-on la preuve que c’est la bonne politique ? Voyez par contraste celle de Hollande et du « social-libéralisme », qui joint le déshonneur à la défaite : la courbe du chômage ne s’inverse pas et les déficits se creusent ! Comme quoi, il faut vraiment avoir mauvais fond pour ne pas adopter la panacée keynésiano-marxiste !
Le problème, c’est que, malgré tous les bons sentiments qu’on voudra y adjoindre, ce raisonnement, défendable en 1929, est absurde dans la France d’aujourd’hui, et ce pour trois raisons. D’abord, les marges de manœuvres de nos entreprises sont très faibles. Ensuite, dans la mondialisation, la compétitivité est vitale et le coût du travail y joue une place non négligeable. Enfin et surtout, l’argent n’est pas fléché. S’imaginer qu’en injectant des liquidités dans les petits ménages, on va automatiquement rendre compétitif un appareil de production qui ne l’est plus est juste stupide : mécaniquement, l’argent ira là où les produits sont meilleur marché, c’est-à-dire rarement vers les marchandises françaises, de sorte que c’est aujourd’hui Schumpeter qui a raison : c’est d’investissements innovants, donc d’une politique de l’offre, dont la France a besoin – ce que Macron et Valls, les premiers à gauche, ont enfin fini par comprendre. Disons-le clairement : ils ont raison. Sont-ils désormais de droite, couchés devant le Medef, la « vraie gauche » étant définitivement du côté des frondeurs, de Mélenchon, Tsípras et Podemos ? Quelle bêtise ! Quand la vieille gauche, qui pour être archaïque n’en est pas forcément plus « vraie », comprendra-t-elle enfin que son débat avec la droite ne doit plus porter sur la production des richesses, mais sur leur répartition ?
Il en va de l’économie comme de la pêche aux cormorans : il faut laisser ce pêcheur magnifique aller chercher les poissons, quitte à lui faire rendre gorge après. Je traduis : laissons les capitalistes chercher et produire la richesse, quitte à la partager mieux une fois qu’elle est là. Le problème de la vieille gauche, c’est qu’elle n’a jamais réussi à comprendre que pour partager, il faut d’abord produire. Comme disait Aristote, « pour être généreux, il faut être riche ». Remplacer les cormorans par des poulets asthéniques et les capitalistes par des fonctionnaires ne servira qu’à faire fuir les riches et appauvrir les pauvres. Entre républicains de droite et de gauche, empaillons-nous joyeusement sur l’équité, sur le partage des richesses, sur la participation et l’intéressement, sur la fiscalité et la formation permanente, pas sur la production. Alors le débat droite-gauche retrouvera toute sa noblesse et sa légitimité. Pour le quart d’heure, la lutte fratricide gauche contre gauche n’aura qu’un seul effet : offrir un boulevard au FN et réinstaller au pouvoir une droite pourtant bien mal en point.
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