LIVE FROM THE CAVEAU
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JEAN-PIERRE ELKABBACH : Comme chaque année, monsieur le président, vous sortez du caveau pour faire à notre micro le point sur la situation. Comment allez-vous ?
FRANÇOIS MITTERRAND : Le temps passe, Elkabbach. Mon beau-frère Roger vient de disparaître, mon ami Roland Dumas perd la boule, ma fille Mazarine fait des piges chez Giesbert. Mais enfin, quoi, je considère la situation. Ça mériterait un bon éditorial dans L’Unité.
J.-P. E. : Qu’est-ce qui vous frappe en ce moment ?
F. M. : La guerre entre les réformateurs et les frondeurs, ceux qui veulent ouvrir les magasins le dimanche, hein, et les autres, ceux qui pensent plutôt que c’est le jour des vêpres.
J.-P. E. : Vous croyez que Christian Paul veut aller à la messe ?
F. M. : Il est député de la Nièvre. L’église de « la force tranquille », en 1981, c’était là…
J.-P. E. : La guerre des deux roses serait donc une guerre de religions ?
F. M. : Dans mon caveau, Elkabbach, j’ai le temps de réfléchir aux forces de l’esprit. Eh bien, tous ces agités de la réforme sont des parpaillots en manteaux trois-quarts.
J.-P. E. : Des protestants ?
F. M. : Des enfants de Rocard. Ils prennent le socialisme pour du lait pasteurisé et veulent parler le suédois à Gujan-Mestras. La réforme, la Réforme ! Mais ce n’est pas Genève qui est rouge, Elkabbach, c’est Rome. Est-ce que vous croyez que ces puceaux calvinistes savent que la réalité est baroque ? Les Borgia, la Contre-Réforme, les torsades, la poudre de succession, ça me connaît ! Eux, ce sont des hommes du petit cartable. Prenez Rocard, le fils du physicien, il pensait que la France se dirige comme un laboratoire. Et Jospin, le camisard trotskiste, il a fini avec un piolet dans le cerveau. C’est bien la peine de me survivre si c’est pour devenir aussi pathétique que Rocard. À force de regarder vers le nord, il a fini ambassadeur chez les pingouins.
J.-P. E. : Mais un jeune réformateur comme Macron n’est pas protestant ?
F. M. : Les rosiers de l’ENA ont toujours ressemblé à des pasteurs sans barbe, Elkabbach. Dans ma soupente de la rue de Bièvre, j’en ai exorcisé quelques-uns, Fabius ou Attali, mais ça prend du temps pour les déniaiser. Le jeune Macron avale toutes sortes de potions à la rose pour nourrir, comme dirait mon ami Elie Wiesel, le dibbouk qui est en lui. Macron est marabouté par une fille de pasteur, lui aussi.
J.-P. E. : Une fille de pasteur ?
F. M. : Angela Merkel. Vous voyez bien que tous ces enfants de Rocard apprennent l’allemand en méthode accélérée. Le petit Valls donne des coups de jugulaire, c’est d’ailleurs rare de voir un fils de peintre catalan se transformer en précepteur prussien. Le jeune Macron, lui, rêve de devenir une chancelière en tailleur-pantalon au bord de la Vistule. Pas Lili Marleen, non, mais le konzern, la cogestion et les bas de contention…
J.-P. E. : Pour vous, ils ne sont pas socialistes ?
F. M. : Le socialisme, Elkabbach, c’est la lenteur masquée par des tuyères. Vous avez déjà lu Chardonne dans un Falcon ?
J.-P. E. : Euh, non…
F. M. : Je m’en doutais. Ah. Vous êtes assis dans un fauteuil avec les types du cabinet qui vous passent des notes rédigées dans un sabir d’antichambre, vous survolez des steppes ou des océans, ils vous bassinent avec Gorbatchev, et là vous tirez un livre de Chardonne de votre poche, on vous sert des carottes et des haricots verts dans un ramequin de plastique stérile, peu importe, Elkabbach, parce que la Charente est dans les mots, et la France dans sa littérature.
J.-P. E. : Oui, mais le monde tourne et les réformes pressent, monsieur le président.
F. M. : Il faut savoir donner du temps au temps. La droite est là pour vous faire attendre, hein. Alors on parcourt la France dans les 2 CV des militants, on goûte le beaujolais nouveau et la miss du canton, on consulte. Vous avez vu Mauroy, vous avez parlé à Claude Estier ? Vous avez lu la chronique d’André Gorz, vous avez pêché le bigorneau avec Paul Guimard ? Cela prend du temps, Elkabbach. Et les motions, les courants, les loges, la préparation du congrès, les investitures, l’ascension de la roche de Solutré, le foin des ânes de Latche, les chausse-trapes, l’émasculation des parpaillots de chez Rocard, la strangulation constructive des alliés communistes, hein, vous croyez que c’est facile d’étouffer Marchais sous un édredon, et les anathèmes contre la droite, le Béhémoth, l’Antéchrist, et mes éditos léchés dans L’Unité, les déjeuners avec Jean Daniel et les états d’âme de Danièle, vous croyez qu’on traite tout ça à la vitesse de la lumière ? Les frondeurs, eux, savent bien que la fronde est un grand sommeil où le Xanax est désormais fourni par Martine Aubry. D’ailleurs Hollande a compris le truc, hein, pas de synthèse sans lenteur, même s’il roule en scooter.
J.-P. E. : C’est votre message pour 2015, monsieur le président ?
F. M. : C’est mon message pour l’éternité. Le socialisme est une hypersomnie, vécue et savourée pour aboutir à un beau gisant.
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