Le slogan est particulièrement violent : « Louis XVI on l’a décapité, Macron on peut recommencer. » Entendue lors des cortèges contre la réforme des retraites, la phrase est venue rappeler la prégnance de l’imaginaire révolutionnaire dans les manifestations qui secouent la France depuis plus d’un an. Sur les ronds-points, on a dressé des guillotines, quand ce ne sont pas des têtes qu’on a promenées au bout d’une pique. Une petite fraction du pays rêve d’un renversement du pouvoir, comme aux grandes heures de la prise de la Bastille. Et la France n’est pas seule à connaître ce frisson : depuis un an, la planète est agitée par une fièvre insurrectionnelle, marquée par des manifestations de masse à Hong Kong, en Algérie, en Irak, au Liban ou au Chili. Une contestation contre les pouvoirs en place qui obéit toujours à un contexte propre, mais qui rappelle, par son ampleur et sa détermination, la dernière grande vague de révolutions récentes, celle des printemps arabes de 2011.
En ces temps troublés, ce numéro spécial du 1 vous invite justement à comprendre le sens même du mot révolution, à interroger son histoire, à en saisir la portée symbolique. Réservé pendant des siècles à la description du mouvement des astres, celui-ci n’a pris un sens politique qu’au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle, avec en point d’orgue la chute de la monarchie et la proclamation de la République en France.
Éminent spécialiste de la Révolution française, Jean-Clément Martin livre dans un entretien éclairant les raisons qui ont fait de cet événement la matrice des révolutions à venir : « Ce qui se passe alors, explique-t-il, c’est la reconsidération du cours du temps. Ce qui va se produire à travers les mouvements sociaux permet d’ouvrir l’avenir. »
C’est cette rupture avec le passé, cette possibilité d’un monde nouveau, qui berce depuis lors les révolutionnaires de tout crin. Ce numéro, réalisé avec le concours de professeurs de la prépa Tremplin, ouvre justement en grand l’éventail des révolutions, dans l’art, la science, l’économie ou les mœurs, unies dans la recherche d’un certain progrès. Toutes n’ont pas réussi. D’autres ont nettement échoué. Mais leur exemple nourrit encore notre fascination pour ce joli mot de révolution, tellement chargé de promesses qu’il est aujourd’hui repris à loisir par les as du marketing – et le candidat Macron, lui-même, en avait fait le titre de son livre-programme. Vivons-nous pour autant aujourd’hui une période « révolutionnaire » ? Cela reste à voir… Comme le rappelle Ryszard Kapuściński dans le texte ci-contre : « Une révolution est toujours imprévisible, le moment où elle éclate prend tout le monde au dépourvu, même ceux qui l’appelaient de leurs vœux. »