à la mémoire de Gabriel Péri.

 

Ce n’est pas vrai qu’un mort
Soit comme un vague empire
Plein d’ordres et de bruit, 

 

Qu’il nous envie
Quand nous mangeons.

 

Ce n’est pas vrai qu’un mort
Soit du sang ou du lait la nuit plus haut que nous.

 

Ce n’est pas lui qui rit dans l’arbre et dans le vent
Si l’on pleure au village. 

 

Ce n’est pas lui non plus
Qui fait tomber les bols quand on tourne le dos
Ou la suie sur le feu.

 

Ce n’est jamais un mort
Qui nous prend à parti dans les yeux des chevreaux.

 

Il ne faut pas mentir,
Rien n’est si mort qu’un mort.

 

– Mais c’est vrai que des morts
Font sur terre un silence
Plus fort que le sommeil.

Extrait du recueil Exécutoire 

© Éditions Gallimard 1947

 

Comment apprivoiser le monde ? Les mots peuvent nous servir à combattre nos peurs, pourvu que nous préférions les questions aux mensonges. En 1947, dans Exécutoire, Guillevic rend hommage au militant communiste et résistant martyr, Gabriel Péri. Il n’en abandonne pas pour autant sa lucidité, prenant garde à creuser cet espace étroit entre matérialisme et sensibilité au sacré. Le poème se construit sur une suite de réfutations. Chaque « ce n’est pas vrai » dénie la présence de fantômes dans notre quotidien. Remarquez comment le poète mêle les évocations du foyer des hommes aux références à la nature extérieure, les phrases concrètes à d’autres plus folles. Les vers libres s’emboîtent dans de courtes strophes, avec une prépondérance d’hexasyllabes, quelques alexandrins, et une préférence pour les rythmes binaires. Jusqu’à cette avant-dernière strophe tautologique et cette envolée finale. Oui, certains morts influencent les vivants, par le silence qu’ils font. L’œuvre d’Eugène Guillevic peut être associée à son combat politique, communiste jusqu’en 1980. Mais elle reste avant tout une formidable leçon d’existence. Comme si le poète d’origine bretonne avait trouvé dans le langage un moyen de se tenir debout face au vent, aux pierres, aux êtres et aux choses. Une sérénité qui transparaît notamment dans ses derniers recueils et nous invite, nous les vivants, à nous engager dans le présent. « On ne possède rien, jamais, / Qu’un peu de temps. »

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