Montaigne (1533-1592)

En vérité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole. Si nous en connoissions l’horreur et le poids, nous le poursuivrions à feu plus justement que d’autres crimes.

Si comme la vérité, le mensonge n’avoit qu’un visage, nous serions en meilleurs termes. Car nous prendrions pour certain l’opposé de ce que diroit le menteur. Mais le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indefiny.

 

Essais, Livre I, chap. ix, 1595

 

Kant (1724-1804)

Celui qui ment, si généreuse puisse être son intention en mentant, doit répondre des conséquences de son mensonge, même devant les tribunaux civils, si imprévues qu’elles puissent être : c’est que la véracité est un devoir qui doit être considéré comme la base de tous les devoirs à fonder sur un contrat, devoirs dont la loi, si on y tolère la moindre exception, devient chancelante et vaine.

C’est donc un commandement de la raison qui est sacré, absolument impératif, qui ne peut être limité par aucune convenance : en toutes déclarations, il faut être véridique (loyal).

« Sur un prétendu droit de mentir par humanité » (1797), Théorie et pratique, traduit de l’allemand par Louis Guillermit, Vrin, 2013

 

Guy Debord (1931-1994)

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

La Société du spectacle, 1967

 

Saint Augustin (354-430)

L’homme est plein de mensonge, de son fond. Ici-bas, il ne possède que le mensonge ; c’est un trésor de mensonges ; son cœur a beau mentir tant qu’il peut, la réserve ne s’épuise pas, quelle que soit la fécondité de ses inventions, et la variété de ses mensonges. Pourquoi ? parce qu’il a cela gratuitement, et donc, de son propre fond ; il n’a pas besoin de l’acheter. Mais s’il s’agit de vérité, se montre-t-il vérace ? Il ne l’est pas de lui-même.

Sermon CCLIV, Les Plus Beaux Sermons de saint Augustin, t. III, trad. Georges Humeau, Études Augustiniennes, 1986

 

Jonathan Swift (1667-1745)

On nous dit que le Diable est père du mensonge, et qu’il fut menteur dès l’origine : de sorte que, sans conteste, l’invention en est ancienne, et, qui plus est, que sa première application fut purement politique, puisqu’elle visait à saper l’autorité de son Seigneur et à détourner un tiers de ses sujets de leur devoir d’obéissance. C’est pour quoi le Diable fut chassé des Cieux où (selon Milton) il avait été Vice-roi d’une grande province occidentale et fut condamné à exercer ses talents dans les régions inférieures peuplées d’autres esprits déchus, pauvres hommes bercés d’illusions, qu’il persiste et persistera chaque jour à tenter de ses péchés, jusqu’à ce qu’ils soient enchaînés dans l’abîme sans fond.

Mais, bien que le Diable soit le père des mensonges, il semble bien, comme d’autres grands inventeurs, avoir perdu beaucoup de sa réputation du fait des progrès continus qui l’ont surpassé.

The Examiner, no XIV (1710), L’Art du mensonge politique, traduit de l’anglais par Jean-Jacques Courtine, Jérôme Millon, 2007

 

Machiavel (1469-1527)

Le prince, devant donc agir en bête, tâchera d’être tout à la fois renard et lion : car, s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges ; s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. Ceux qui s’en tiennent tout simplement à être lions sont très malhabiles.

Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ?

***

Les hommes sont si aveuglés, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper.

Le Prince, chap. xviii, traduit de l’italien par Jean-Vincent Périès, 1825

 

George Orwell (1903-1950)

« Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l’accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à faire paraître solide ce qui n’est en réalité que du vent. »

Politics and the English Language, 1946



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