Toujours prompt à catégoriser le monde, le droit ne laisse pas planer beaucoup d’ambiguïtés lorsqu’il saisit les rapports entre la santé et le travail. Les règles de droit ont toutes pour toile de fond l’idée que le travail est susceptible de nuire à la santé, et qu’il faut organiser la défense du corps du travailleur. L’idée est même à la racine du droit dit social. Dès 1893, une loi oblige les patrons à tenir leurs locaux dans des conditions « d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel » et ouvre le bal à une ribambelle de décrets détaillant la teneur de cette obligation générale. 

De nos jours, on trouve toujours dans le Code du travail des règles générales de prévention concrétisées par des prescriptions précises (comme celles portant sur la taille des marches des escaliers dans les usines). Un corps de contrôle, l’inspection du travail, est chargé de vérifier l’application de ces règles. Des amendes, voire de la prison, sont censées frapper ceux qui ne les respectent pas. La menace de sanctions et la minutie des prescriptions réglementaires ont sans nul doute contribué à une amélioration continue des conditions de travail. Reste qu’à force de juger la prévention tatillonne et la sanction ineffective, ce type de réglementation est pour partie déconsidéré.

À côté de ce couple prévention-sanction, un système d’indemnisation des conséquences des accidents du travail a été mis en place, et ce dès 1898. Aujourd’hui, le système, rodé depuis 1946, fonctionne ainsi : les employeurs versent une cotisation assise sur les salaires pour financer les prestations servies par la Sécurité sociale, le salarié bénéficiant d’une réparation automatique et forfaitaire dès lors que la maladie ou l’accident est lié au travail. 

Dans ce triptyque prévention-sanction-indemnisation qui s’est construit tout au long du xxe siècle, l’employeur n’est jamais directement responsable à l’égard de son salarié. Ce dernier reçoit une ­compensation pécuniaire d’un organisme de sécurité sociale, alors que le patron, de son côté, doit rendre des comptes à l’Administration. Des évolutions juridiques récentes sont venues percer ce voile qui séparait employeur et salarié. La montée en puissance du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a obligé l’employeur à ouvrir un débat avec les représentants du personnel sur les questions de santé au travail. La création par la jurisprudence d’une obligation de sécurité de résultat a conduit à une imputation automatique à l’employeur de toute atteinte à la santé du salarié liée au travail. Il s’agit d’un nouveau cas de responsabilité sans culpabilité. 

La dernière évolution juridique majeure est la prise en compte des atteintes à la santé mentale des travailleurs. Le harcèlement moral en constitue l’élément le plus visible. Mais les autres risques psychosociaux (stress, suicide, violences…) tombent également dans les filets du droit. S’appuyant notamment sur l’obligation de sécurité de résultat, les juges remettent en cause certaines organisations du travail pathogènes, condamnent des employeurs à indemniser des salariés licenciés ­devenus inaptes en raison de leurs conditions de travail… 

Ces avancées du droit délaissent toutefois la prévention des atteintes psychiques au salarié ; il n’existe en effet pas de réglementation détaillée à l’image de celle présidant à la prévention des risques physiques. Ce ne sont pas quelques procédures, référents psychosociaux ou autres manuels de bonnes pratiques qui permettent de corseter dans le travail réel les menaces pour la santé mentale. Une réglementation méticuleuse de la santé mentale est à inventer, moins médiatique mais plus efficace qu’une incantation à l’ins­cription du burn out dans les tableaux de maladies professionnelles. 

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