« Le baccalauréat envoie un message à tout le système scolaire »
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Quel souvenir gardez-vous de votre propre baccalauréat, au lycée parisien Stanislas ?
Je l’ai vu comme un moment de transition heureux, une forme de consécration et de libération : l’aboutissement d’une vie antérieure et l’arrivée dans une autre vie. Il me renvoie à des souvenirs agréables, y compris celui de la passation, parce qu’il y avait quelque chose de solennel qui créait un effet un peu magique. On se prépare à quelque chose de mystérieux et au moment où on le fait, on se rend compte qu’on peut le faire bien. Je me rappelle aussi que je m’étais inscrit à l’option couture pour obtenir des points. Je me suis retrouvé dans un amphithéâtre au lycée Jules-Ferry où, parmi près de sept cents personnes, dont six cent quatre-vingt-dix-neuf filles, se trouvait votre serviteur. Je comptais sur une indulgence liée à ma masculinité et je fus déçu. L’épreuve consistait à confectionner une robe de plage pour une petite fille de trois ans.
Je revois chacune de ces jeunes filles remettant un travail très bien fait, et moi une espèce de chiffon froissé et très raté. Je n’ai évidemment eu aucun point !
Avez-vous trouvé facilement votre orientation au moment de choisir votre filière ?
J’avais commencé en seconde C [section où primaient les mathématiques et les sciences physiques], en m’inscrivant dans cette logique que nous combattons à présent avec la réforme : considérer qu’être en C, c’était le signe qu’on faisait partie des meilleurs élèves. Beaucoup de matières ne m’intéressaient pas en réalité, j’étais profondément littéraire et intéressé par les sciences humaines et sociales. Je suis allé dans la filière D [sciences de la nature et mathématiques appliquées], qui ne me plaisait pas davantage. C’est arrivé en terminale B [sciences économiques et sociales] que je me suis épanoui. J’aurais mieux fait de faire ce choix dès le début du lycée. C’est aussi pour cela que je porte ce message clé : faites ce que vous aimez et vous pourrez ainsi approfondir.
Vous évoquez votre bac comme une transition entre deux mondes. Pensez-vous que cet examen ait toujours cette fonction pour les élèves qui ont 18 ans aujourd’hui ?
Il demeure l’institution nationale par excellence et, depuis la fin du service militaire, la seule à concerner la très grande majorité d’une génération, a fortiori avec l’existence d’une grande diversité de baccalauréats (général, technologique et professionnel). Or on a besoin de rituels, dans une société comme dans une vie, et le baccalauréat en est un bon. On a aussi besoin d’une certification, de pouvoir attester de ce qu’on a acquis à un moment donné. De nombreux pays qui n’ont pas d’équivalent du baccalauréat se sont d’ailleurs intéressés ces dernières années au bac à la française et à la réforme actuelle, pour aller dans le même sens que nous. Je pense que psychologiquement, du point de vue de l’élève, la dimension d’un cran franchi demeure, et il ne faut ni la sous-estimer ni la dénigrer.
Le bac est-il une représentation de ce qu’est la République à vos yeux ?
Il existe un lien fort entre le baccalauréat et l’histoire napoléono-républicaine des deux derniers siècles. Il contribue à la dimension d’unité du pays ; à celle de méritocratie, très présente dès les origines – bien que la démocratisation de l’institution ait atténué cette dernière dimension, elle l’a conservée, notamment par le maintien des mentions. Le baccalauréat est donc bien une institution républicaine.
Lors de la grève des copies, en juillet dernier, vous avez parlé de « sacrilège ». Le baccalauréat a-t-il un caractère sacré à vos yeux ?
Oui, tout à fait. C’est évidemment à dessein que j’ai utilisé cette expression. Le viol de certains principes et valeurs républicains représente, lorsqu’il est commis, un sacrilège. C’est le cas lorsqu’on s’attaque au baccalauréat et à sa passation. Si vous interrompez un mariage à la mairie, vous faites quelque chose de sacrilège. Le sujet n’est pas divin, mais le mot sacrilège peut s’adapter à la situation car la République est ce qui nous relie et, à ce titre, peut être considérée comme sacrée.
Est-ce en raison de ce caractère sacré que les réformes envisagées au cours des dernières décennies se sont cassé les dents, de François Fillon à Xavier Darcos ? À force d’être un totem, le bac serait-il devenu un tabou ?
Il y a beaucoup de raisons à ces échecs. La première est qu’en tant qu’institution nationale universelle, le baccalauréat concerne énormément de gens. Un effet de taille entre en jeu, qui fait qu’on ne peut pas avoir l’accord de tous sur chacun des aspects. La deuxième raison est que le baccalauréat ne vaut pas seulement pour lui-même : il envoie un message à tout le système scolaire et il est d’autant plus intéressant à ce titre. Par exemple, en créant dans la réforme un oral solennel de fin de baccalauréat, on adresse un message jusqu’à la petite section de maternelle, qui dit : les compétences pour s’exprimer, argumenter, écouter, structurer sont des savoirs essentiels. L’enjeu en est fondamental, et j’ai tendance à penser que certains de ces objectifs sont partagés par la population française et le monde éducatif dans leur ensemble. Il s’agit de donner aux élèves confiance en eux. Et, pour réaliser cela, nous donnons un sens plus fort au baccalauréat. Au-delà des questions bien naturelles qui existent dès que vous changez quelque chose, il y a aussi ceux qui cherchent à ajouter de la conflictualité pour des raisons politiques ou autres. L’entreprise n’est évidemment pas facile, mais nous sommes bien engagés.
Emmanuel Macron annonçait déjà dans son programme présidentiel qu’il fallait changer le baccalauréat. Pourquoi a-t-il voulu en faire un des marqueurs de sa campagne ?
C’est un point dont nous avions parlé pendant la campagne présidentielle et sur lequel il avait des convictions ancrées, que nous partagions totalement. Les deux points sur lesquels il a pris un engagement présidentiel étaient de ramasser les épreuves à passer en quatre matières et d’instaurer le contrôle continu. Pourquoi ? Les motivations sont multiples, à commencer par la volonté d’en finir avec le bachotage. Il est intéressant de noter que ce néologisme même vient du baccalauréat ! Cela signifie quelque chose de ce
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