« Symbole : signe figuratif, être animé ou chose, qui représente un concept, qui en est l’image, l’attribut, l’emblème. » Les élèves sont infiniment attachés au symbole, à ce qui fait voir, rend concret, confère un sens. En cela, ils vénèrent le symbolique, c’est-à-dire une situation qui tient sa valeur de la chose supérieure à laquelle elle renvoie. Telle est la puissance du baccalauréat, cette épreuve du feu qui récompense leur travail et reconnaît leur dignité. Car c’est la dignité des élèves que consacre l’examen chaque année, en même temps que ce fameux respect qu’ils revendiquent à tous crins sans trop savoir ce qu’il désigne.

Je me souviens d’un candidat qui s’est présenté à l’oral du bac de français, l’air renfrogné, m’annonçant qu’il détestait l’école. Je l’ai interrogé sur « À une dame créole » de Baudelaire. Quand il a lu le poème, la petite musique de nuit du poète maudit l’a troublé. J’en ai profité pour l’amener vers les sons, les parfums et les couleurs intrinsèques au sonnet. Il a dit : « Les belles femmes à cette époque ne sont pas noires. – Mais pourquoi la dame créole plaît à Baudelaire, d’après vous ? – Parce qu’elle lui fait peur… » Ses mots étaient sincères. L’explication n’avait rien de scolaire, mais elle était sentie. Au terme de l’épreuve, le garçon m’a remerciée, en me disant que c’était la première fois qu’un texte lui plaisait. J’aime penser que ces trente petites minutes ont suffi à lui entrouvrir la porte d’un monde nouveau. 

Nous habitons notre langue. Le langage est notre ontologie, notre chair. Sans lui, la vie n’est pas possible. Mon roman Illettré raconte cela. Le personnage est conscient de la puissance du signe qui se dérobe. Il flotte parmi les livres qui le narguent. Les livres sont l’examen de la vie, de puissants viatiques entre le héros et la violence du monde qu’il est incapable de mettre à distance, en l’apprivoisant par l’allégorie, la métaphore, le symbole… L’école apprend aux enfants toutes ces choses. Il ne s’agit en rien de préciosité, mais d’un programme vital. 

J’ai enseigné quinze ans en Seine-Saint-Denis. Aujourd’hui, mes lycéens parisiens sont malentendants ou autistes Asperger. Une année, j’ai accompagné une de mes élèves sourde et presque aveugle à l’oral du baccalauréat. Cette jeune fille brillante a été interrogée sur un poème de Verlaine. Elle n’a parlé que de musique et de peinture. Le jury en a été bouleversé. Si le bac transcende la conscience des élèves, il n’est pas rare que le moment submerge aussi l’enseignant. C’est en cela qu’il est précieux. 

Avec le grand oral en terminale, le nouveau baccalauréat redonnera à la classe de rhéto ses lettres de noblesse. C’est une très bonne chose car, contrairement à une idée communément admise, les élèves médiocres à l’écrit ne se débrouillent pas mieux à l’oral. Au contraire, ils peinent à déplier une syntaxe, à improviser un propos pour aller jusqu’au bout d’une démonstration. Souvent, quand je les interroge, ils me répondent par monosyllabes. La gageure du grand oral est donc passionnante, mais il faudra redoubler de moyens et d’empathie à l’endroit de ceux qui risquent d’être disqualifiés d’emblée par l’épreuve. La tchatche est l’apanage des fils de bourgeois. Cependant, je veux croire que l’école laïque de la République peut offrir l’excellence à tous et faire tomber les murs des ghettos linguistiques les plus redoutables. Or, pour cela, il faudra que le maître soit capable de sonder l’élève en difficulté, de s’adapter à ses idiosyncrasies, sans pour autant renoncer à l’exigence du propos pour conduire ce dernier là où il souhaite l’emmener. 

Le nouveau programme de Lettres réintroduit la lecture des œuvres complètes. Il s’agit de s’immerger dans une prose parfois ardue – mais ce qui nous dépasse nous apprend tant ! – pour rencontrer le cœur d’une pensée, d’une esthétique. Il est impossible de cerner le génie d’un auteur, si l’on morcelle la lecture, si l’on réduit le texte à une analyse stylistique allant toujours dans le sens du fragment. Le lecteur doit avoir sous les yeux l’ensemble d’un paysage, la totalité d’un visage, l’intégralité d’une prière adressée au sens et à la beauté afin d’être touché. 

Le panel des propositions pédagogiques s’élargit grâce aux « enseignements de spécialités ». Je vois enfin se dessiner une véritable section littéraire que les élèves peuvent dûment choisir. Cette concertation dès la seconde réduira de manière conséquente les échecs dans le supérieur en première année et le diplôme du baccalauréat deviendra le premier grade universitaire. L’enseignement de spécialités « Humanité, littérature et philosophie » vient compléter le propos du cours de français. Il le prolonge à la faveur de chapitres consacrés à l’espace artistique et philosophique européen ; il convoque les belles-lettres du monde entier, celles d’hier et d’aujourd’hui, puisqu’il est impossible de comprendre le présent si l’on est amnésique.

La transmission suppose un mélange de grand sérieux et de beaucoup de subjectivité. Transmettre est un don de soi qui vise à l’élévation et au bien-être des consciences en formation qui nous sont confiées. Les élèves sont sensibles à cet autre symbole : au miroir sans piqûre de notre cœur d’adulte dans lequel ils commencent à reconnaître les battements du leur. 

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