En dépit des trois amendements à la Constitution américaine consécutifs à la fin de la guerre de Sécession – le treizième (1865), qui abolit l’esclavage, le quatorzième (1868), qui consacre le principe d’« égale protection des lois », et le quinzième (1870), qui accorde le droit de vote aux Noirs de sexe masculin –, c’est seulement près d’un siècle plus tard que le Congrès des États-Unis s’est finalement résolu à voter les deux principales lois établissant – ou renforçant – l’interdiction des discriminations raciales. La première est le Civil Rights Act de 1964, qui concerne l’emploi ainsi que l’accès aux lieux publics comme à tout « programme ou activité » financés par le gouvernement fédéral. La seconde est le Voting Rights Act de 1965, destiné à garantir l’application effective du quinzième amendement sur l’ensemble du territoire américain, y compris dans les États du Sud où il avait été précédemment mis en échec par diverses formes de discrimination indirecte. Cependant, le bilan de ces avancées législatives quant au statut des Noirs, qui représentent aujourd’hui 14 % de la population des États-Unis, demeure fortement contrasté.

Ainsi, bien avant la victoire d’Obama en 2008, on avait pu observer une nette augmentation du nombre d’élus noirs qui s’est poursuivie par la suite : on compte actuellement 46 Noirs parmi les membres du Congrès, contre 10 en 1970. Il n’empêche que les Noirs demeurent statistiquement sous-­représentés dans l’ensemble des élus comme au sein de l’électorat. Parmi eux, la proportion des personnes en âge de voter, celle des individus qui, à l’intérieur de ce premier sous-ensemble, font la démarche de s’inscrire sur les listes électorales, et le pourcentage de ceux qui, étant inscrits, participent effectivement au scrutin sont tous trois inférieurs aux ratios correspondants pour la population blanche. Ces écarts s’expliquent à la fois par les disparités de niveau éducatif entre Noirs et Blancs et par la jeunesse relative de la population noire, qui, au sein même de l’ensemble des plus de 18 ans, se révèle être un facteur d’abstention.

Par ailleurs, en dépit des progrès accomplis dans ce domaine, l’ampleur des inégalités socio-économiques entre les membres des deux groupes demeure frappante.

Ainsi, en 2014, le revenu moyen et le patrimoine moyen des ménages noirs représentaient respectivement 60 % et 10 % de celui des ménages blancs. En 2013, alors que 10 % des Blancs disposaient d’un volume de ressources inférieur au seuil de pauvreté, c’était le cas de 27 % des Noirs. La même année, 13,4 % des Noirs étaient au chômage, contre 6,7 % des Blancs. Enfin, à revenu égal, la ségrégation résidentielle frappe davantage les Noirs que les Hispaniques ou les Asiatiques. Certes, à partir des années 1990 le phénomène s’est atténué dans les aires métropolitaines les plus récentes des États du Sud et de l’Ouest, notamment lorsqu'elles abritent des institutions relativement intégratrices telles les bases militaires, les universités et les antennes de la bureaucratie fédérale. On ne saurait toutefois en dire autant pour ce qui est des centres industriels du Nord-Est et du Middle West, dans lesquels une plus grande proportion du parc immobilier est antérieure à la loi de 1968 interdisant la discrimination raciale dans la vente et la location de logements.

Cette persistance des inégalités raciales ne signifie pas que la discrimination positive, en vigueur depuis la fin des années soixante et accordant aux Noirs un avantage compensatoire dans la répartition des emplois, des marchés publics et des offres d’admission dans les filières d’élite de l’enseignement supérieur, s’est révélée inefficace. Pour ne prendre qu’un exemple, contrairement à la thèse répandue selon laquelle l’affirmative action serait responsable de la défection de nombreux étudiants noirs en cours de scolarité alors même que ces derniers auraient pu s’épanouir dans une université aux exigences mieux adaptées à leur niveau d’entrée, on constate que, pour tous les étudiants (Noirs inclus), il existe une corrélation positive entre le taux d’obtention du diplôme et le degré de sélectivité de l’établissement fréquenté. Autrement dit, plus ce dernier est renommé et difficile d’accès, plus la probabilité que les étudiants noirs achèveront leur scolarité sans coup férir est élevée. Or, non seulement la détention d’un diplôme délivré par un établissement réputé a un effet positif sur le salaire du diplômé et ses perspectives d’accès à des fonctions d’encadrement, mais cet effet est croissant et particulièrement prononcé lorsque le diplômé est noir ou hispanique. Le démantèlement de la discrimination positive dans les universités publiques d’une dizaine d’États (Californie, Floride, Michigan…), en cours depuis la seconde moitié des années 1990, vient donc remettre en cause l’un des rares dispositifs ayant produit des résultats tangibles en matière de réduction des inégalités raciales. 

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