Un an après l’attaque terroriste perpétrée contre Israël par le Hamas, quelles sont sa perception et ses répercussions dans la classe politique et la société françaises ? Comment réagissent les Juifs de France à la hausse des actes antisémites, multipliés par quatre depuis le 7 octobre ?

La Première ministre Élisabeth Borne avait dénoncé, lors d’un débat à l’Assemblée nationale le 24 octobre 2023, « une attaque terroriste barbare menée par le Hamas et le Djihad islamique contre l’État d’Israël ». Un « crime », marquant un « changement de nature et d’échelle » dans la violence au Proche-Orient. Telle est restée la position de la France, pour qui l’Autorité palestinienne est l’interlocuteur légitime, favorable à la paix, tandis que les islamistes du Hamas mettent celle-ci en péril. La France souligne que le droit d’Israël à se défendre a comme limite le droit international. Sa diplomatie a une ligne constante : la libération des otages, un cessez-le-feu pérenne pour travailler à la paix et avancer sur la solution à deux États. Le conflit s’enlisant, on sent toutefois une évolution de cette position. Ainsi, la France a voté, le 18 septembre 2024, la résolution de l’ONU réaffirmant que la présence d’Israël dans les territoires palestiniens occupés est illicite et que les colonies doivent être démantelées.

59 % des sondés renvoient dos à dos Israël et le Hamas dans la responsabilité du conflit

Cette ligne ne fait pas l’unanimité dans la classe politique. À gauche, au sein de LFI, on juge que l’État ne met pas les mots adéquats sur le sort de la population gazaouie en refusant de qualifier l’action israélienne de « génocide ». À droite et chez les macronistes, il est reproché à LFI de refuser de définir clairement le Hamas comme mouvement terroriste, de considérer celui-ci comme un « mouvement de résistance ». La sémantique de LFI est au service d’une stratégie : depuis octobre 2023, le mouvement utilise la situation à Gaza pour parler aux jeunes et aux personnes issues de l’immigration. D’où le choix de la franco-palestinienne Rima Hassan comme candidate aux élections européennes. 

Ce positionnement clivant a eu des conséquences inédites : des élus LFI sont convoqués par la police pour « apologie du terrorisme », sur la base d’une circulaire du 10 octobre 2023 signée par Éric Dupond-Moretti. Alors que la France insoumise dénonce des attaques visant à la discréditer, certains dans la majorité présidentielle, comme la députée Renaissance Caroline Yadan, lui ont carrément reproché d’avoir créé la « possibilité d’une discrimination totale envers les Juifs dans ce pays », ce qui est assurément excessif. Les attentats du 7 octobre et la guerre à Gaza sont devenus, pour le camp macroniste et la droite, une arme politique contre le Nouveau Front populaire, divisé sur ces événements. Pour le bloc central et la droite, la gauche serait « complice » des positions « antisionistes », voire « antisémites » de LFI, à la seule fin de préserver le NFP en tant qu’alliance électorale. Or, si Olivier Faure, Fabien Roussel et les écologistes considèrent que la riposte militaire israélienne à Gaza fait courir aux Palestiniens un « risque génocidaire », ils n’ont pas admis l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon selon laquelle l’antisémitisme serait devenu « résiduel » en France. Au sein du PS, l’après 7 octobre fait débat. Selon les termes d’une tribune signée par Mickael Delafosse, Ariel Weil et Rachid Temal en avril 2024, « l’alliance Nupes entretient un malaise, car elle fait cohabiter de fait des partis entretenant des rapports différents au regain d’antisémitisme que connaît la France aujourd’hui ». 

Le Rassemblement national a compris combien l’après 7 octobre peut accélérer sa stratégie de dédiabolisation

Pour la droite la grille d’analyse est avant tout nationale : il s’agit d’attaquer la gauche dans son ensemble. Celle-ci est décrite comme « islamo-gauchiste », vue comme indifférente à la menace terroriste islamiste et comme courant après le vote musulman des quartiers populaires. Gérald Darmanin avait préempté le sujet avec la loi du 24 août 2021, dite « loi séparatisme ». Du côté des Républicains, Bruno Retailleau dénonce en juin 2024 un « antisémitisme d’atmosphère », sans pointer de responsabilités spécifiques. Éric Ciotti, désormais allié du RN, est plus précis, évoquant la « responsabilité de l’extrême gauche » et la « farce » que constituerait la mobilisation de la Nupes contre l’antisémitisme. Enfin, le Rassemblement national a compris combien l’après 7 octobre peut accélérer sa stratégie de dédiabolisation. Se posant en « bouclier pour les Français de confession juive », il participe à la marche contre l’antisémitisme du 13 novembre 2023, dans un contrefeu aux accusations concernant le passé anti-juif de certains fondateurs du Front national.

 

Quel impact le 7 octobre et ses suites ont-ils eu sur la société française ? Une étude de l’Ifop se penche sur « le regard des Français sur le conflit israélo-palestinien et ses conséquences sur la France ». Comme elle a été faite en plusieurs vagues, la dernière, en juin 2024, permet de mesurer les variations de l’opinion, ou plutôt sa stabilité. L’image d’Israël reste bonne. 30 % des Français lui expriment de la sympathie (23 % en avril 2024), 15 % de l’antipathie et 55 % ni sympathie ni antipathie. Le sondage ne montre pas de relativisation de la nature de l’attaque du Hamas. Seulement 9 % des Français estiment qu’il s’agit d’actions de résistance contre 54 % qui parlent d’actes terroristes et 37 % de crimes contre l’humanité, la somme des deux dernières qualifications signifiant un degré de révulsion très élevé.

Un bémol doit être apporté à ce constat de soutien puisque, si 56 % des Français estiment que l’objectif d’éliminer le Hamas est justifié – proportion stable par rapport à avril 2024 (56 %) –, c’est moins qu’en novembre 2023 (62 %). Le rappel quotidien par les médias du nombre de victimes civiles à Gaza, les images des destructions, le sentiment d’un excès de l’emploi de la force peuvent expliquer ce tassement. En fait, 59 % des sondés renvoient dos à dos Israël et le Hamas dans la responsabilité du conflit. Il n’empêche : le soutien au Hamas est marginal (4 %). C’est la proximité politique qui agit comme facteur déterminant les attitudes : l’antipathie envers Israël (30 %) est deux fois plus forte que la sympathie chez les proches de LFI, tandis que ceux du Parti communiste se divisent sur la question à égalité, la grande majorité (67 %) étant indifférente. Une courte majorité (51 %) des sympathisants socialistes et écologistes répartit à égalité les responsabilités. 

Le sentiment d’une grande solitude politique et d’une incapacité de l’État à contenir les actes antisémites domine. 

Chez ceux de la majorité présidentielle, 57 % n’ont de sympathie pour aucun camp, mais l’antipathie envers Israël est très faible (moins de 9 %). Les avis sont plus tranchés à droite, où 55 % de ceux qui se sentent proches des Républicains penchent pour Israël, qui ne suscite une défiance que chez 8 % d’entre eux. C’est l’électorat de Reconquête qui, à 72 %, plébiscite le plus Israël alors que celui du RN est, à 60 %, neutre dans son choix, l’antipathie envers Israël ne réunissant que 10 % de ses soutiens. L’appartenance religieuse, difficile à cerner dans les sondages, montre une antipathie envers le Hamas majoritaire chez les catholiques et une sympathie pour Israël qui est la plus forte chez les catholiques pratiquants (34 %). Le sentiment qui ressort de cette enquête est qu’une majorité de Français reste à distance du conflit, dont l’importation si souvent évoquée est donc plus limitée qu’il n’y paraît.

Comment réagissent les Juifs de France ? Les attaques du 7 octobre ont été pour eux un traumatisme inédit. L’ampleur des massacres et le caractère sadique des tortures, des viols, ravive l’histoire des pogroms. Israël, touché, reste vu comme un rempart contre l’antisémitisme par sa capacité de riposte militaire, malgré la faille évidente du renseignement israélien et le fait que les otages n’ont pu être, à ce jour, tous libérés. Au-delà de ce qui se passe là-bas, le traumatisme provient de ce qui se produit ici. Une rupture de confiance durable s’est instaurée vis-à-vis de la gauche, jugée responsable de s’être rangée en bloc derrière la stratégie de LFI. 

De nombreux Juifs se sentent pointés du doigt comme « ennemis de l’intérieur » et pensent qu’à terme, ils n’ont plus d’avenir en France du fait du déséquilibre démographique entre eux et la population d’origine arabo-musulmane : le spectre du « grand remplacement » n’est pas loin. La voix modérée du politologue Denis Charbit l’assure : « Le jour du 7 octobre fait date ; il pourrait faire génération. Il porte à jamais la couleur du deuil et de l’effroi […]. Dans cette même veine, 2023 aura été l’“année terrible”. Sa place est retenue d’office dans le martyrologe juif. » Dans une communauté juive française où la centralité d’Israël est une évidence partagée, ces paroles résument la sidération provoquée par l’attaque du Hamas, intacte un an après. Le sentiment d’une grande solitude politique et d’une incapacité de l’État à contenir les actes antisémites domine. C’est, finalement, le lot habituel de la condition diasporique. 

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