Vie de Jésus
de François Mauriac (1936)
Reprenant le titre du livre à succès publié par Ernest Renan en 1863, l’écrivain girondin entend ici décrire la nature humaine du Fils de Dieu, sans pour autant écarter sa dimension divine. L’ouvrage, que Mauriac qualifie de « petit livre téméraire », paraît en 1936, près de vingt ans avant que le prix Nobel de littérature lui soit décerné. Fervent catholique, il s’attache dans cette biographie à aborder l’Évangile avec psychologie, à représenter les sentiments des personnages, de la détresse de Marie aux doutes des apôtres. Il offre, surtout, un portrait inédit, singulier, d’un Jésus tout à la fois fragile et tout-puissant, alourdi par son humanité, sensible au bonheur comme à la douleur, à la colère comme à la tendresse. Et dans la célébration de sa foi en l’Amour, l’écrivain rappelle pourquoi sans Jésus, le mot Dieu aurait été pour lui vide de sens.
Le Christ en croix d’Assy
de Germaine Richier (1950)
On pourrait y voir une branche d’arbre. Mais c’est bien le Christ sur la croix que représente cette sculpture de bronze haute d’un demi-mètre. Intitulé Le Christ d’Assy, ce crucifix réalisé par la plasticienne Germaine Richier a suscité bien des polémiques. C’est en 1950 que la sculptrice réalise son œuvre, sur demande du chanoine Jean Devémy, pour décorer l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, fraîchement édifiée sur le plateau d’Assy, en Haute-Savoie. Fernand Léger, Henri Matisse, Marc Chagall… les plus grands artistes du xxe siècle sont sollicités pour ornementer l’édifice. Mais à peine disposé, le crucifix de Germaine Richier fait scandale : blasphématoire aux yeux du Vatican, ce Christ sans visage, icône de toutes les souffrances, est retiré du chœur de l’église seulement quelques mois plus tard, remisé à l’abri des regards. Ce n’est qu’en 1969 qu’il retrouvera sa place, où il trône encore aujourd’hui.
L’Évangile selon Saint Matthieu
de Pier Paolo Pasolini (1964)
Sorti en 1964, le long-métrage raconte à hauteur
d’homme et avec réalisme l’histoire de Jésus, en reprenant directement les dialogues du texte biblique. Le film du réalisateur italien, ouvertement athée et marxiste, surprend alors par la solennité de son propos : il faut dire que le cinéaste avait été condamné l’année précédente à quatre mois de prison pour « outrage à la religion d’État » après la parution de son film La Ricotta, sketch – jugé blasphématoire – rejouant la Passion du Christ. Mais L’Évangile selon saint Matthieu, joué par de nombreux comédiens amateurs et présentant un Christ volontiers agressif, porté par une colère justifiée à l’égard des autorités, sera décoré du Lion d’argent à la Mostra de Venise de 1964. Et cinquante ans plus tard, L’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican, le sacrera « meilleure œuvre cinématographique sur Jésus ».
Piss Christ
d’Andres Serrano (1987)
En 1985, le photographe Andres Serrano s’était fait remarquer avec Blood Cross, image d’une croix baignée de sang (de vache). Deux ans plus tard, il présente dans une galerie new-yorkaise Piss Christ, une photo grand format représentant un crucifix de plastique, immergé dans un liquide doré, censé être un mélange d’urine et de sang. Jugée blasphématoire, vandalisée, l’œuvre déclenche rapidement la controverse : deux sénateurs américains dénoncent le soutien financier public qu’a reçu l’artiste, et l’agence fédérale pour les arts (NEA) voit son budget amputé. Quant à Andres Serrano, il recevra de nombreuses menaces de mort, alors même qu’il plaidera avoir souhaité, par cette photographie, dénoncer le dévoiement mercantile des icônes chrétiennes. En 2023, il sera d’ailleurs accueilli aux côtés de 200 autres artistes par le pape François dans la chapelle Sixtine, pour célébrer le soutien de l’Église aux élans artistiques.
La dernière tentation du Christ
de Martin Scorsese (1988)
Adapté du roman La Dernière Tentation publié par Nikos Kazantzákis en 1954, le film met en scène un Jésus (interprété par Willem Dafoe) étreint par le doute et le désir charnel. Sur la croix, il lui est proposé d’échapper à son destin et de fonder une famille avec Marie Madeleine, renonçant ainsi à sa mission divine… Le film sort sur les écrans américains durant l’été 1988, suscitant des protestations dans tout le pays. En France, plusieurs cinémas sont incendiés par des groupes catholiques intégristes, et, dans la nuit du 23 octobre, un engin placé sous un fauteuil du cinéma Espace Saint-Michel fait quatorze blessés, dont quatre graves. Ces attentats mèneront la très grande majorité des salles de l’époque à retirer le film de l’affiche. Il reste encore aujourd’hui prohibé aux Philippines et à Singapour.
L’Évangile selon Jésus‑Christ
de José Saramago (1991)
Sept ans avant de recevoir le prix Nobel de littérature, l’écrivain portugais s’était attaqué à la figure du Christ en explorant les zones d’ombre de l’Évangile. Sous sa plume prend vie Joseph, homme taciturne, dominé par la culpabilité d’avoir sauvé son fils du massacre des Innocents tout en ayant laissé mourir les autres. Puis Jésus, adolescent rebelle, hanté par les mêmes cauchemars que son père, avant sa rencontre avec un Dieu orgueilleux : ce dernier révèle qu’il veut faire de lui son instrument pour créer une religion nouvelle, et ainsi conquérir le monde au-delà des seuls Juifs. Réticent à endosser une telle mission et les futurs crimes commis en son nom, Jésus devra pourtant plier devant la toute-puissance divine… En butte à l’hostilité du gouvernement portugais à la suite de la parution du roman, Saramago choisira dès lors de finir ses jours en exil, sur l’île espagnole de Lanzarote.
La Cène (a last supper)
de Lorna May Wadsworth (2009)
Ces dernières décennies, en écho à des questions politiques et sociales brûlantes, bien des artistes, sur tous les continents, ont proposé des visions non européennes du Christ, arborant des couleurs de peau plus sombres, des traits asiatiques, amérindiens, polynésiens… La peintre anglaise Lorna May Wadsworth, réputée pour ses portraits réalistes de personnalités publiques, s’est, elle, inspirée du visage du mannequin jamaïcain Tafari Hinds pour incarner un Christ noir, au cœur d’une version modernisée de La Cène de Léonard de Vinci. Accroché en 2009 dans l’église Saint-Georges de Nailsworth, le tableau, une huile sur aluminium, fera la une des médias dix ans plus tard lorsqu’un impact de balle y est découvert : sans doute tiré par une carabine à air comprimé, le projectile a touché le tableau sur le flanc du Christ, à l’endroit même où il est réputé avoir été transpercé par la lance de Longin pendant la crucifixion.
par Emma Flacard & Julien Bisson