Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de jouir de certains privilèges ?

C’est très significatif que, dans ce moment d’épuisement moral et de crise d’imagination pour une partie des élites, nos adversaires trouvent seulement à dire : « Voyez, nous vous dégoûtons, mais ils ne sont pas mieux ! » Ces arguments remportent toujours leur petit succès. Mais je crois que personne n’est dupe. Les gens se rendent compte qu’il y a là deux poids deux mesures, et cela risque d’avoir un effet boomerang. 

Certains de vos détracteurs disent que les dirigeants de Podemos sont de grands experts en communication politique et de bien piètres politiques. 

C’est un argument un peu plus élaboré. Nous avons connu plusieurs phases. Nous avons d’abord été critiqués par rapport à nos prises de position sur l’ETA et le Venezuela ; puis est venu le temps du reproche : « Vous n’êtes pas du xxie siècle, recyclez-vous ! » ; enfin on nous a opposé un argument qui semblait en apparence élogieux : « Ils sont vraiment très intelligents, ils sont très bons »… Sous-entendu : ils savent tromper les gens. Aujourd’hui, on nous présente comme des sortes d’alchimistes. Après les élections européennes, dans les interviews télévisées, on me demandait : « Quelle est la formule ? » La formule, la voici : Vous ne voyez pas dans quel état est le pays ? C’est un ensemble d’ingrédients qui fait la recette. 

Nombreux sont ceux qui ne comprennent pas que vous n’ayez pas d’idéologie, que vous ne vous réclamiez pas de la gauche. 

L’idéologie ne s’exprime pas seulement à travers les métaphores « droite » et « gauche ». Cette métaphore est éminemment européenne et s’utilise depuis deux siècles, mais elle ne sert plus à expliquer ce qui arrive en Espagne. Les différences formelles entre gauche et droite se sont tellement estompées que les gens ne s’y reconnaissent plus… En revanche, la distinction entre la caste et les citoyens a connu un succès fulgurant, comme le feu qui prend dans un champ d’herbes sèches dans lequel on jette une allumette. Le champ était totalement sec et laissé à l’abandon, il n’y avait plus qu’à jeter l’allumette. Il n’y a pas de notre part d’appel à désidéologiser quoi que ce soit. Au contraire : il s’agit de faire plus de politique mais avec d’autres métaphores.  

 

Extrait de l’entretien réalisé pour le journal en ligne Ctxt par MIGUEL MORA, SOLEDAD GALLEGO-DÍAZ et JACOBO RIVERO, traduit de l’espagnol par MARIÉN NEVEU-AGERO

 

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