L’actualité foisonne d’exemples qui prouvent que la société pousse par le bas… Cela implique-t-il un nouveau contrat social ?

La société est en attente d’autre chose. Comme le suggère Daniel Kaplan, de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing), la société moderne s’est construite sur le diptyque État-entreprise. Nous avons désormais un triptyque qui inclut la société civile. Celle-ci demande que sa voix et ses actions soient prises en compte. 

Cela implique de nouvelles relations entre gouvernants et gouvernés et de nombreuses questions se posent : jusqu’où la démarche d’ouverture doit-elle aller ? Comment réagir non plus face à des masses mais à des individus connectés ? Comme le rappelle l’historien Patrick Boucheron, en citant La Vie de Périclès de Plutarque, « en démocratie le chef doit savoir aller au contact du peuple, se mettre en situation d’être insulté sans jamais répliquer. C’est un dosage entre art du retrait et engagement dans la cité ». Pour cet universitaire, les liens numériques massifs entre internautes donnent l’impression que la volonté collective de faire société est davantage assumée par les gens ordinaires que par les élites. Nous sommes dans une période charnière. Comme le souligne Geoff Mulgan, ancien conseiller « innovation » au cabinet du Premier ministre Tony Blair, la politique est dans une situation assez similaire à celle de la distribution de détail face à Amazon : on peut ignorer ce qui est en train de se passer dans la société et être en très mauvaise posture quinze ans après. Pour ce défricheur, l’important actuellement est d’observer et d’apprendre !

Quel regard portent les chercheurs sur les évolutions politiques de ces dernières années en Europe comme à l’étranger ?

Nous vivons une période de basculement. Depuis Londres, la politologue Catherine Fieschi considère par exemple que nous ne sommes plus dans une ère du risque contre lequel on peut s’assurer, mais dans une ère de l’incertitude. La société civile ne vient pas d’être inventée, mais avec le numérique, sa voix est plus forte.

Les jeunes se réapproprient la politique par de petits actes quotidiens. La sociologue Cécile Van de Velde analyse bien ce phénomène : il n’y a pas de désintérêt pour la chose publique mais cette jeune génération s’engage davantage par le biais de pétitions en ligne que par des actes politiques. Or ces façons politiques de vivre la société ne sont pas analysées comme telles par les instances traditionnelles… Aujourd’hui, d’ailleurs, la société se scinde entre deux types d’acteurs : ceux qui réussissent à identifier les phénomènes sociétaux émergents, les signaux faibles, et les autres.

Le manque d’acuité dans les sphères du pouvoir à percevoir cette lame de fond permet de comprendre pourquoi, depuis quelques années, les surprises numériques pour le haut de la pyramide sociétale se révèlent protéiformes. Syndicats, lobbies et partis traditionnels peuvent être court-circuités par des actions initiées en ligne. Le débordement est là et comme le souligne le créateur de la société Linkfluence, Guilhem Fouetillou, « le Web est un nouveau stéthoscope pour prendre le pouls de la société avec une granularité beaucoup plus fine ». C’est en observant le Web que cet ancien chercheur à l’Université de technologie de Compiègne et son équipe ont décelé que le « non » à la Constitution européenne allait l’emporter en 2005 !  

 

Propos recueillis par ANNE-SOPHIE NOVEL

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