Le mépris ne fait pas une politique
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Il est de bon ton, en France, de taper sur les hommes politiques. La dérision, spécialement chez nos humoristes, se mêle au mépris, spécialement chez nos intellectuels. Et le grand public ne suit que trop volontiers, sur l’air du « Tous pourris » ou du « Tous nuls ». Triomphe de la bonne conscience et des mauvais affects. Contre quoi il faut rappeler que, dans une démocratie, on a les dirigeants que l’on mérite. Mieux aurait valu, à gauche, Michel Rocard ou Jacques Delors que François Mitterrand ? Sans doute. Mais les Français ont élu Mitterrand, deux fois. Mieux aurait valu, à droite, Raymond Barre ou Bayrou (ou même Balladur) que Jacques Chirac ? Peut-être. Mais les Français ont élu Chirac, deux fois. Quand on élit celui qui promet ou qui ment le plus, à quoi bon se plaindre, ensuite, d’être déçu ?
Sarkozy et Hollande sont-ils pires que leurs prédécesseurs ? Je n’en suis pas convaincu. Toujours est-il qu’ils ont été élus, et point par hasard. De 2007 à 2012, l’antisarkozysme fut pour la gauche une espèce de piège : c’était s’installer confortablement dans la haine et la bonne conscience au lieu d’élaborer un programme crédible. Même chose, aujourd’hui, pour le « Hollande bashing », à ceci près qu’il ne fait pas des ravages seulement à droite… Nos dirigeants ne vous plaisent pas ? Battez-vous pour en changer. C’est le jeu de la démocratie. Mais ne comptez pas sur la dérision pour tenir lieu de politique.
On ne me fera pas croire que les Français sont un peuple formidable gouverné par un quarteron de lâches et d’imbéciles. Ce n’est ni vraisemblable ni tonique. L’urgence, pour contrer les populismes, c’est de réhabiliter la politique. On n’y parviendra pas en crachant perpétuellement sur ceux qui la font. De Gaulle fut un grand homme ? Dont acte. Mais faut-il pour autant oublier le drame du métro Charonne (huit morts en 1962) et regretter le ministre de l’Intérieur Marcellin ou Foccart, le conseiller élyséen pour les affaires africaines ? Notre époque est difficile ? Assurément. Mais combien de temps va-t-on regretter les Trente Glorieuses ? Il y avait plus de croissance et moins de chômage ? Certes. Mais le niveau de vie moyen était deux fois plus bas qu’aujourd’hui, on était moins bien logé, moins bien nourri, moins bien soigné, il n’y avait ni RSA ni CMU, on vivait moins longtemps, syndicats et médias étaient moins libres qu’aujourd’hui (souvenez-vous de l’ORTF !), enfin le racisme était au moins aussi répandu qu’aujourd’hui et moins systématiquement combattu, notamment en haut lieu… Arrêtons d’enjoliver le passé, d’accabler le présent ! Je ne supporte plus ce déclinisme, ce défaitisme, ce refrain larmoyant du « C’était mieux avant » ! Quoi de plus démobilisateur pour nos jeunes gens ? On leur laisse croire qu’ils sont nés à la pire des époques, au fond du trou, dans une impasse de l’histoire. Alors que la pauvreté n’a jamais autant reculé à l’échelle du monde que ces trente dernières années, qu’on s’est débarrassé de l’apartheid en Afrique du Sud, du totalitarisme en Europe, des dictatures militaires en Amérique du Sud, alors que les droits de l’homme, bon an mal an, ont au total davantage progressé que régressé ! Si on insistait plutôt sur les progrès accomplis, on donnerait à nos jeunes davantage de courage pour se battre et pour en arracher d’autres. Il est plus confortable, assurément, de regretter les belles années enfuies de notre propre jeunesse, de dénoncer la médiocrité de l’époque et la nullité de nos gouvernants. Mais est-ce juste ? Est-ce efficace ? Le mépris ne fait pas une politique. La nostalgie non plus.
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