À quoi ressemblera notre avenir ? Quels défis, quelles menaces, quelles opportunités aussi ce dernier peut-il receler ? Ces questions, Alain Damasio se les pose depuis un quart de siècle, au fil d’une œuvre acclamée où l’anticipation politique se teinte d’envolées poétiques. Depuis La Zone du dehors jusqu’aux Furtifs, en passant par La Horde du Contrevent, le plus célèbre de nos écrivains de SF esquisse les contours de futurs cauchemardesques, dominés par les sociétés de contrôle, la privatisation du vivant ou l’enfermement technologique. Mais faut-il n’y voir que des fantasmes dystopiques, nés du cerveau d’un romancier, ou de véritables préfigurations du monde en train de se construire sous nos yeux ?

Pour s’en faire une idée, Alain Damasio a passé quelques mois autour de San Francisco, dans ce vaste laboratoire où grandit notre avenir, au cœur de cette Silicon Valley qui, depuis vingt ans, colonise nos écrans et nos emplois du temps. Il en a tiré un ouvrage passionnant, Vallée du silicium, tout à la fois recueil de chroniques, de portraits et de nouvelles, où brille son sens de la formule. Il y est question d’intelligence artificielle et de voitures autonomes, de santé connectée et de dispositifs de surveillance. En creux, l’écrivain revient, surtout, sur cette grande révolution anthropologique aujourd’hui à l’œuvre, qui voit nos créations devenir créatures, et notre humanité remise en cause à force d’être modelée par la machine. Autant de thèmes essentiels qu’il aborde dans le long entretien qu’il nous a accordé et que nous vous proposons en poster, accompagné d’extraits de son livre.

Il n’est pas nécessaire d’être féru de science-fiction pour apprécier ce qui se joue derrière les parois de verre de nos smartphones : la séduction de la paresse, la promesse de sécurité, l’illusion de l’ubiquité… Un monde de désirs que les machines viendraient enfin assouvir – moyennant l’échange de notre temps et de nos données contre de gros profits. C’est cette grande entreprise de déshumanisation que Damasio analyse avec verve, sans pour autant verser dans un luddisme total qui refuserait toute forme de progrès technique. Avec Vallée du silicium, il lance bien un cri d’alerte face au léviathan numérique. Mais il appelle, aussi, à inventer un art de vivre avec les technologies, à imaginer une relation équilibrée avec l’IA, à penser un monde qui n’aurait pas renoncé au vivant, à l’empathie, à l’altérité ou à la convivialité. Bref, à « désincarcérer l’avenir » du chemin tracé par les pontes de la Silicon Valley. Reste à savoir si, face à la puissance des « imachinaires », il subsiste encore un peu de place pour cette utopie… 

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