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Silence, on cogne !
« Le féminicide est l’échec sanglant du patriarcat »
Ivan Jablonka
En France, au moins 220 000 femmes sont battues par leur conjoint chaque année. Que disent les violences conjugales de notre société ?
Ces violences naissent au croisement d’un parcours individuel, d’un dysfonctionnement de couple et d’un système social. Le parcours individuel de l’agresseur peut s’expliquer par des violences ou des viols subis dans l’enfance, par un comportement amoureux comme la jalousie extrême ou le fait de se croire propriétaire de sa conjointe. Cette violence masculine, qui relève des tribunaux, s’inscrit parfois dans le cadre de violences mutuelles, la femme exerçant le plus souvent, dans ce cas, des violences psychologiques. Le système social, quant à lui, s’appelle la domination masculine : c’est le patriarcat. On ne peut analyser les violences conjugales sans évoquer le machisme, les pathologies de la masculinité, voire les masculinités criminelles – autant de notions dont on parle peu.
Comment définir le patriarcat ?
Le patriarcat est un mégasystème de pensée que l’on pourrait résumer ainsi : chacun à sa place. À la femme, en raison de sa biologie (utérus, poitrine), reviennent les responsabilités maternelles et ancillaires. Évidemment, considérer qu’aux organes féminins correspondent certaines servitudes relève d’une interprétation biaisée du corps humain. Les hommes, eux, monopolisent toutes les responsabilités extérieures, les pouvoirs politiques, militaires, économiques, et les privilèges qui vont avec. Le patriarcat, c’est donc la complémentarité hiérarchique des sexes, au sein de laquelle l’homme a la préséance. Cette préséance est double : responsabilités extérieures, mais aussi à l’intérieur du foyer. La femme n’y règne que par délégation. Elle s’occupe de ses enfants à lui, elle met à disposition son corps, y compris sur le plan sexuel. Dès lors que la femme doit obéissance à son mari en échange de sa protection, la notion de viol conjugal est inenvisageable. On voit bien comment, dans ce contexte, la violence physique est toujours possible : si le deal patriarcal n’est plus respecté, la violence devient un mode de régulation pour rappeler que chacun doit rester à sa place.
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[Devoir conjugal]
Robert Solé
Depuis 1990, la loi française reconnaît le viol entre époux. Cette « atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » est même sanctionnée plus sévèrement pour un couple, pris au sens large (mariage, pacs ou concubinage) : jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle. Reste, bien sûr, à en prouver la réalité : entre acte consenti et acte subi, la frontière est mince quand il s’agit de l’intimité de deux personnes ayant choisi de vivre ensemble.
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