Corédacteur en chef du 1 hebdo, il est l’auteur d’une quinzaine de livres et a été successivement grand reporter, rédacteur en chef et directeur adjoint du Journal du dimanche. Pour mieux cerner les enjeux locaux liés à l’ouverture d’une gigantesque mine de lithium dans l’Allier, à Échassières, il s’est rendu sur place afin de rencontrer tenants et détracteurs du projet.

 

Et au milieu coule une rivière, la merveilleuse Sioule et ses eaux vives. Au-dessus trône la vénérable forêt des Colettes, l’une des plus belles hêtraies d’Europe. C’est sur le massif de la Bosse, à sept cents mètres d’altitude, que devrait ouvrir en 2028 la mine de lithium d’Échassières, au cœur d’une oasis de verdure où prospèrent écrevisses à pattes blanches, truites fario, castors et loutres, chats sauvages, cigognes noires, chouettes hulottes, crapauds sonneurs et des plantes rares, comme le lycopode inflammable et le droséra carnivore et médicinal.

Le premier projet minier français depuis la fermeture du dernier puits de charbon en 2004 a été doté d’un doux acronyme, Emili (pour Exploitation de mica lithinifère par Imerys). Emili… in Allier devrait produire chaque année 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium (soit 2-3 % de la production mondiale actuelle), de quoi équiper les batteries de 700 000 véhicules électriques par an pendant un demi-siècle. En octobre 2022, au lendemain de l’annonce du projet, Emmanuel Macron déclarait qu’en France, « on n’a pas de pétrole mais on a du lithium » – confirmant aussi son goût pour les années 1970 qui l’ont vu naître. Faut-il croire en un retour des Trente Glorieuses, version électrifiée ? Il est vrai que les applications de ce métal alcalin ultraléger et intensément conducteur sont nombreuses : batteries de voiture ou de vélo, smartphones, ordinateurs, petit électronique, objets en verre ou en céramique, et même le fameux stabilisateur des troubles bipolaires utilisé depuis les années 1970 – on y revient toujours.

Une « Silicon Allier » est-elle pour autant envisageable ? La cohabitation de la rivière, de la forêt et de l’extraction minière n’y est pas nouvelle : depuis l’époque gallo-romaine, on a exploité alentours de l’or, du cuivre, de l’étain et surtout du charbon, notamment à Saint-Éloy. Quant à la forêt des Colettes, elle a abrité une mine de tungstène et de nombreuses carrières de kaolin, dont une à Échassières, qui extrait depuis 1850 ce minerai argileux utile pour la porcelaine et dont les rejets ont longtemps donné à l’eau du ruisseau la blancheur du lait.

Autant dire que l’« or blanc », surnom du lithium, ne devrait pas dépayser les habitants dont une grande majorité a compté un père ou un grand-père mineur. André Lajoinie, candidat communiste à la présidentielle de 1988, a été leur député jusqu’en 2002. Aujourd’hui, le RN domine un paysage politique clairsemé dans lequel la culture minière est devenue muséale. Est-ce la raison pour laquelle les partisans de la mine ne font pas le poids face aux défenseurs de la nature ? La CGT s’inquiète de voir les promesses d’embauche fondre alors que les prévisions de production ont été révisées à la hausse. Les écologistes d’EELV soutiennent la décarbonation mais discutent pied à pied ses « externalités négatives ».

 

« Ma parole, c’est Chimerys », s’est exclamé un opposant

 

Sur le terrain, on n’entend que les opposants, regroupés en deux associations, Préservons la forêt des Colettes, dont le premier fait d’armes consista à bloquer l’implantation d’un parc éolien, et Stop mines, qui ne veut d’extraction « ni ici ni ailleurs ». Il est vrai que l’envergure d’Emili a de quoi inquiéter : Imerys envisage d’extraire chaque année deux millions de tonnes de granit qui seront concassées en surface afin d’isoler le mica. Il sera ensuite expédié sous forme de boues par canalisations jusqu’à Vicq (Saint-Bonnet-de-Rochefort et son Naturopôle ont préféré décliner) pour y être séché puis convoyé vers Montluçon. Par le train, ou plus sûrement l’autoroute – on peut douter en effet de la remise en état de la ligne de chemin de fer et de ses cinq viaducs Eiffel. Dans l’usine de conversion de Montluçon, le mica sera raffiné en hydroxyde de lithium. Ne subsistera alors que 0,9 % de l’extraction initiale.

Les principales inquiétudes concernent le pompage des eaux de la Sioule et du Cher (1,2 million de mètres cubes annuels) et les précédents des pollutions chimiques : sur l’autre versant de la Bosse, les terres sont toujours parsemées d’arsenic et de plomb, cinquante-six ans après la fermeture de la mine de tungstène !

Imerys tente d’apaiser les craintes en avançant le choix d’une mine « écoresponsable » – et non d’une carrière à ciel ouvert – avec un recyclage à 90 % de l’eau utilisée et une réinstallation de la majorité de la roche extraite dans des alvéoles souterraines de vingt-cinq mètres sur vingt-cinq… « Ma parole, c’est Chimerys », s’est exclamé un opposant. Il sera de toute façon difficile d’y voir parfaitement clair avant dix-huit mois et la fin de l’expérimentation des trois usines pilotes au 1/160e des proportions finales.

Mais c’est au fond le dessein même de la transition énergétique qui est remis en cause : pourquoi « notre » lithium servirait-il aux SUV des « riches citadins » ? Et quid du recyclage des batteries ? Et pourquoi la transition climatique devrait-elle faire tourner le business du capitalisme ? Un vieux monsieur s’exclame : « Si je comprends bien, pour polluer moins, il faut polluer plus. » À quoi une dame ajoute qu’on devrait « arrêter de dégueniller la terre ».

Pourtant, dans le contexte de course mondiale aux métaux critiques, nul ne croit vraiment que le projet de mine puisse être stoppé comme celui des éoliennes. Et après le lithium, que va-t-on découvrir pour nourrir nos téléphones, voitures, satellites et drones ? Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) explore les massifs hercyniens et l’on sait déjà que le massif de la Bosse contient du béryllium, du tantale, du niobium et de l’étain. Les vieux cailloux vont probablement redessiner la carte du Sud-Allier. Mais qu’en pense la biodiversité ?