Il faut tordre le cou aux stéréotypes sur la testostérone ! Pour commencer, rappelons qu’elle n’est pas l’apanage du masculin. Cette hormone est fabriquée par les testicules des hommes et par les ovaires des femmes. Mais également par les tissus adipeux, c’est-à-dire les graisses, et par de petites glandes situées au-dessus des reins, dites « surrénales », et ce à la fois chez les hommes et chez les femmes. Les hommes produisent environ trois fois plus de testostérone que les femmes. Le taux de cette hormone dans le sang varie aussi selon de nombreux facteurs : l’âge, le contexte social et psychologique, les modes de vie comme l’alimentation, le tabac, l’alcool ou l’exercice physique. Là encore chez les deux sexes.

La testostérone a un effet important sur le corps. Un effet anabolisant pour commencer : elle permet de mobiliser la force et l’énergie, elle stimule la production de protéines, augmente la masse musculaire –, d’où son usage comme produit dopant. Elle joue sur la croissance osseuse, sur les globules rouges ou encore sur la pilosité. Mais ces effets n’ont pas lieu que chez les garçons : c’est aussi la testostérone qui fait que les poils apparaissent chez les filles à la puberté.

Que dire maintenant des effets de la testostérone sur les comportements, c’est-à-dire sur le cerveau ? Il y a cinquante ans, on pensait que son action sur le cerveau des fœtus mâles y laissait une empreinte indélébile, responsable de comportements vus comme typiquement masculins : appétit sexuel, compétition, agressivité… Il est vrai que les rats à qui l’on injecte de la testostérone développent une activité sexuelle et une agressivité plus intenses. Mais notre cerveau d’humain n’est pas celui d’un rat ! En effet, de nombreux travaux ont montré notre exceptionnelle capacité de plasticité cérébrale : le cerveau humain se développe essentiellement après la naissance, en interaction avec l’environnement ; les connexions entre les neurones se reconfigurent en permanence. L’idée que les comportements puissent être programmés depuis le stade fœtal par la testostérone n’est plus défendable. Rien n’est jamais figé dans le cerveau. La question n’est pas de nier l’effet de la testostérone mais de l’étudier sérieusement.

« Notre cerveau n’est pas celui d’un rat ! »


Or des travaux menés sur des échantillons de plusieurs milliers d’hommes adultes et en bonne santé, avec une méthode scientifique rigoureuse, n’ont pas démontré de lien de cause à effet entre le taux de testostérone dans le sang et le désir sexuel, la compétition ou l’agressivité. Ce n’est pas la production de testostérone qui induit ces comportements spécifiques. Certes, il peut y avoir corrélation entre deux phénomènes – mais corrélation n’est pas causalité. Après une partie de tennis, par exemple, on a montré que le gagnant avait fabriqué plus de testostérone que le perdant, alors qu’on n’observait pas cette différence avant le match. La logique est différente : la testostérone est fabriquée non pas avant la partie mais pendant, en réponse à un contexte de compétition et de stress. Et c’est ensuite son effet anabolisant, c’est-à-dire sa capacité à mobiliser la force et l’énergie, qui permet au gagnant de l’emporter.

D’autres études, là encore réalisées rigoureusement, ont porté sur les liens entre le pic de testostérone qui se produit chez les garçons à l’adolescence et l’expression de comportements violents. Elles montrent que ces comportements étaient présents dès l’enfance, bien avant la puberté. D’autres recherches sont en cours sur ces questions, il s’agit de l’état actuel de notre connaissance. Nous ne disposons pas non plus de données suffisantes validées scientifiquement concernant l’effet comportemental de la testostérone que prennent les hommes trans dans leur processus de transition, en raison principalement de la grande hétérogénéité des situations.

« Les hormones sont un sujet très propice à des interprétations idéologiques »


Pourquoi l’être humain échappe-t-il ainsi à l’action de la testostérone que l’on observe chez les rats ou les souris ? En plus de la plasticité, la particularité du cerveau humain est le développement exceptionnel du cortex cérébral, qui constitue 80 % de son volume. Le cortex recouvre et contrôle les régions profondes du cerveau, qui sont sensibles aux hormones et sont impliquées dans les instincts : la faim, la soif, l’attraction sexuelle… Ce contrôle exercé par le cortex empêche nos instincts de s’exprimer à l’état brut : on peut décider de renoncer à la sexualité ou d’entamer une grève de la faim.

Malheureusement, les hormones sont un sujet très propice à des interprétations idéologiques. Les idées essentialistes, qui consistent à « biologiser » les comportements sociaux, sont toujours d’actualité : on invoque la testostérone comme excuse pour justifier des comportements agressifs et violents, ce qui relègue au second plan les raisons socio-culturelles. C’est tout le mérite des sciences – tant la biologie que les sciences humaines et sociales – de montrer que nous ne sommes pas des robots pilotés par nos gênes ou par nos hormones. Que l’on soit homme ou femme.

Conversation avec Hélène Seingier