Parce qu’elle la croyait toujours capable de croître et de se multiplier, l’humanité a mis longtemps à comprendre la nécessité de protéger la faune sauvage. Au massacre plus ou moins complet de certaines espèces – kangourou géant, rhytine de Steller, lion de l’Atlas, bison d’Amérique – répondait la réalité des troupeaux géants de mammifères africains, des océans généreux en poissons, des nuées d’oiseaux qui obscurcissaient le ciel. Sans oublier la présence de redoutables prédateurs, dont l’homme cherchait d’abord à se protéger lui-même. Bref, il y a loin de possesseur à protecteur de la nature. Et il a fallu attendre quelques jalons décisifs – la création du Fonds mondial pour la nature (WWF) en 1961, la parution du Printemps silencieux de Rachel Carson l’année suivante – pour que l’alarme soit tirée et la menace exposée.

Quelques années plus tôt, un roman avait déjà essayé d’éveiller les consciences. Dans Les Racines du ciel, prix Goncourt en 1956, Romain Gary imagine le personnage de Morel, ancien prisonnier de guerre devenu l’infatigable héraut de la protection des éléphants. À travers lui, l’écrivain s’inquiète de la propension de l’homme à détruire ce monde sauvage, inutile, improductif : « Il faut lutter contre cette dégradation de la dernière authenticité de la terre et de l’idée que l’homme se fait des lieux où il vit. Est-ce que nous ne sommes vraiment plus capables de respecter la nature, la liberté vivante, sans aucun rendement, sans utilité, sans autre objet que de se laisser entrevoir de temps en temps ? »

Ce cri du cœur résonne encore aujourd’hui, alors que les forêts tropicales sont dévastées pour faire place à des champs sans fin de palmiers et de soja, et que le déclin de la biodiversité s’accélère. Dans ce second volet de notre série consacrée au monde sauvage, le 1 se penche justement sur le défi de la protection de la faune : comment construire cette Arche de Noé moderne ? Faut-il séparer les animaux des hommes pour mieux les conserver ? Ou au contraire adapter nos modes de vie pour leur éviter de s’éteindre ? Et quelles réglementations nouvelles adopter face aux risques actuels ? L’interdiction récente de la chasse à la glu, après cinq années de bataille judiciaire, est une petite victoire pour les défenseurs de la biodiversité en France. Mais les débats que cette mesure a suscités illustrent un malentendu encore prégnant : le combat pour la protection de la faune sauvage ne se fait pas contre l’homme, mais bien pour lui, pour la défense de notre humanité. Dans Les Racines du ciel toujours, le sage Laurençot en résumait ainsi la nécessité : « Il faut absolument que les hommes parviennent à préserver autre chose que ce qui leur sert à faire des semelles, ou des machines à coudre, qu’ils laissent de la marge, une réserve, où il leur serait possible de se réfugier de temps en temps. C’est alors seulement que l’on pourra commencer à parler d’une civilisation. »