Lorsque je suis arrivé en France en 1971, l’immigration n’existait pas. Certes, 3 millions d’étrangers faisaient le sale boulot, mais on ne les voyait pas, on n’en parlait pas. Ils étaient pour la plupart dans des cités de transit, en dehors des villes, rasant les murs. Mais le prix du baril de pétrole va subitement augmenter et on le reprochera aux Arabes détenteurs d’immenses réserves de cet or noir. À l’été 1973 les immigrés, surtout algériens, vont « envahir les médias ». Le 25 août, un déséquilibré tue un conducteur de bus à Marseille. Cet acte avait été précédé par des ratonnades organisées par des groupes de mouvements d’extrême droite comme Ordre nouveau ou le Club Charles Martel qui publiera un tract disant : « Il y a plus d’Algériens en France qu’il n’y avait de pieds-noirs en Algérie. » À Grasse est constitué un « comité de vigilance des commerçants et artisans grassois » pour dénoncer la présence d’immigrés qui mettraient en danger « la sécurité des citoyens ». Le 21 juin, Ordre nouveau organise un meeting à la Mutualité, « Halte à l’immigration sauvage ». Durant cet été, Alger déplore d’innombrables violences contre la communauté algérienne installée en France.

Depuis, l’immigration ne quitte plus les pages d’informations. M. Giscard ­d’Estaing décide d’accorder « le regroupement familial » en 1976, une bonne chose sur le plan humain. Mais, parce que mal préparé, ce décret va engendrer de nouveaux problèmes dont nous connaissons aujourd’hui toute l’étendue. 

À ce niveau de l’histoire, l’immigration, surtout algérienne, sera perçue par une majorité de Français comme « la part maudite » de la guerre d’Algérie, dont les blessures sont encore vives. Pendant ce temps-là, la France reçoit des dizaines de milliers d’Asiatiques qui fuient la guerre au Vietnam et au Cambodge. Quant à l’immigration portugaise, la plus importante en nombre, on n’en parle pas. Ce qui dérange, c’est la présence des Arabes sur le sol français. Plus tard, on dira que l’islam est incapable de s’adapter aux lois de la République. 

Aujourd’hui, ce ne sont pas des immigrés légalement installés qui créent des problèmes. C’est leur progéniture, évidemment pas tous les enfants, mais il suffit d’une centaine ou d’un millier de candidats au djihad pour que la confusion et l’amalgame s’installent dans l’esprit des gens qui ne se sentent pas en sécurité. Que ce soit le forcené du Thalys ou l’amoureux jaloux qui a égorgé sa petite amie, toute une communauté est stigmatisée. 

C’est dans cet état de peur et d’incertitude que des exilés politiques et des clandestins économiques essaient d’entrer en Europe. L’étranger est devenu indésirable. Le discours démagogique de la droite et de l’extrême droite aidant, les Français ont perdu, ou négligé, le sens de l’hospitalité et de l’asile. Pendant ce temps-là, l’Allemagne dit avoir besoin de plusieurs millions de travailleurs pour faire tourner ses usines. On sait par ailleurs que des centaines de milliers d’emplois ne sont pas pourvus en France. Dire que certains chômeurs ne veulent pas de ces emplois vous fait passer pour un mauvais citoyen. Il faut rappeler que le chômage n’est pas dû à la présence des immigrés mais à la mauvaise politique du travail, à son coût, à ses charges, aux 35 heures appliquées indifféremment aux fonctionnaires et aux manuels qui effectuent des travaux pénibles. L’immigration a bon dos. Elle a toujours été accompagnée de fantasmes hideux et de préjugés où le racisme resurgit dans sa brutalité.  

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