Dans les mémoires allemandes du XXe siècle, deux mutineries, en 1917 et 1918, occupent une place aussi considérable que discutée. Elles se sont produites au sein de la marine impériale. La première à Wilhelmshaven, en août 1917, apparaît à la gauche communiste comme un épisode révolutionnaire qui annonce les bouleversements à venir, avant la grande révolution d’Octobre en Russie. La seconde, à Kiel, en novembre 1918, conduit à la chute de l’Empire et à la proclamation de la République. Kiel devient ainsi, pour certains, « le lieu de naissance de la démocratie allemande », plus encore que Berlin. C’est dire combien, d’un bout à l’autre du spectre politique, les mutins de la marine sont des figures clés du récit de la Grande Guerre allemande et de ses conséquences.

En 1917, les conditions économiques et sociales se dégradent encore en Allemagne. À bord de plusieurs bateaux de guerre, la situation est tendue. Les matelots se plaignent de l’approvisionnement sans être suffisamment entendus. Le 1er août, dans le port de Wilhelmshaven, des hommes du Prinzregent Luitpold réagissent aux brimades dont ils sont l’objet par une marche de protestation. Plusieurs sont arrêtés et punis. La révolte s’amplifie et conduit à de nombreuses arrestations. Cinq marins seront condamnés à morts et deux exécutés, Albin Köbis et Max Reichpietsch. Le mouvement demeurera cependant sans agenda politique défini.

Pourtant, la droite conservatrice porte le fer contre la gauche : la mutinerie illustrerait le rôle séditieux des socialistes. C’est là un argument pour bâtir ce qui deviendra la légende, manipulée par la droite extrême, du « coup de poignard dans le dos », soit la responsabilité de l’arrière, de la société et surtout des démocrates et des socialistes dans la défaite, quand l’armée aurait été capable de vaincre encore.

Pour la gauche communiste, la révolte témoignerait de l’esprit révolutionnaire du prolétariat ; Köbis et Reichpietsch deviennent les « vrais héros de la guerre mondiale ». Plus tard, après 1945, ils seront transformés en icônes et publiquement célébrés tout au long de l’existence de la République démocratique allemande (RDA). Rien de tel, bien sûr, en Allemagne de l’Ouest.

Un peu plus d’un an après l’exécution de Köbis et Reichpietsch, devant Wilhelmshaven puis à Kiel, les marins se révoltent de nouveau, non seulement contre leurs conditions de vie mais aussi contre les projets jusqu’au-boutistes de l’état-major qui entend lancer la flotte contre les Anglais pour continuer la guerre. Le contexte n’est plus le même, l’armée est à bout de forces, la société craque de toute part, épuisée par les privations.

Après plusieurs incidents, les 30 et 31 octobre 1918, les marins refusent de lever l’ancre près de Wilhelmshaven. À nouveau, la répression s’abat et des matelots sont mis aux arrêts, ce qui suscite des protestations grandissantes à Kiel où une partie de la flotte est arrivée. Le 3 novembre, une patrouille militaire ouvre le feu et tue plusieurs manifestants. Kiel est en ébullition et, les jours suivants, les révoltés constituent un « conseil ». Les autorités doivent libérer les hommes arrêtés. La révolte s’étend ; des émissaires sont envoyés dans toute l’Allemagne du Nord. C’est le début de la fin pour la monarchie. À Berlin, le 9 novembre, la République est proclamée.

D’ores et déjà, différentes commémorations sont prévues pour le centenaire de ces événements. Reste à voir comment, dans l’Allemagne unifiée, s’agenceront les différentes pièces du récit. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !