Pour qui veut inverser la courbe du chômage français, il peut être utile de commencer par l’observer. Que révèle la lecture de cette courbe depuis 1975 (en accès libre sur le site de l’Insee) ? Trois réalités, à mille lieues des prétendues vérités implacables martelées ces jours-ci par les partisans de la loi El Khomri (dite « loi travail ») tirées de modèles théoriques ou d’expériences étrangères. 

Première réalité : le chômage français n’a pas constamment augmenté depuis quarante ans, il a pu baisser, parfois très significativement et vite. À la fin des années 1980, plus encore à la fin des années 1990 et au milieu des années 2000, le chômage français recule. Pourquoi ? Les explications sont plurielles et le facteur principal diffère selon la période : une forte reprise économique durant les années 1980, une politique ambitieuse de réduction du temps de travail et d’emplois aidés dans les années 1990, ou encore une évolution favorable de la population active au cours des années 2000. Mais, à aucun moment, cette baisse n’a résulté de la « flexibilisation » du marché du travail et encore moins de l’abaissement des droits des salariés. Ce qui ne veut pas dire que le marché du travail n’a pas été « flexibilisé » : il l’a été, comme au moment du « contrat nouvelle embauche » ou, plus récemment, de l’introduction de la « rupture conventionnelle », mais sans effet tangible sur le chômage. 

Deuxième réalité : le chômage français a explosé dans l’après-coup de la crise financière de 2008 et de nouveau augmenté avec la mise en place des politiques d’austérité à compter de 2011. Au total, il a bondi de 50 % par rapport à son point bas historique du début de l’année 2008 (il s’établissait alors autour de 7 %, son plus bas niveau depuis 1983). Comment expliquer que les « rigidités du marché du travail » que le gouvernement met aujourd’hui à l’index n’aient pas empêché ce brutal accroissement ? En quoi le droit du travail, qui était le même en 2008 qu’aujourd’hui, a-t-il constitué le moindre frein aux destructions massives d’emplois ? Par quel tour de passe-passe peut-on le rendre responsable de l’aggravation du chômage, en « oubliant » commodément l’effet de la crise financière et des politiques d’austérité (qui ont consisté à réduire le pouvoir d’achat des Français par des hausses d’impôts dictées par le respect des critères comptables européens) ? 

Dernière observation : les entreprises françaises ne considèrent pas aujourd’hui, dans leur grande majorité, le droit du travail comme le principal obstacle à l’embauche. En janvier 2016, selon l’Insee, les industriels français sont 43 % à juger qu’ils font face à des difficultés de demande (c’est-à-dire de carnet de commandes), contre 14 % qui attribuent leur situation à des problèmes d’offre (dont le Code du travail ne constitue qu’une toute petite partie). Un rapport d’un à trois ! 

Il ne fait aucun doute que la France connaît depuis trop longtemps un problème de chômage de masse qui atrophie ses forces vives et condamne une partie de sa jeunesse. Mais augmenter encore la précarité au nom d’une flexibilité qui n’a jamais fait ses preuves est une double faute : une faute directe, car on ne fera pas reculer le chômage en traitant ses causes imaginaires, et une faute indirecte, car ses causes réelles sont toujours là, en souffrance. 

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