Ils sont plus de vingt mille jeunes Français à travailler dans la Silicon Valley. Après les Indiens et les Chinois, ils forment l’une des plus grandes communautés à avoir rejoint en masse ce petit morceau de Californie, séduits par la promesse d’une fortune vite amassée. Les pionniers de cette nouvelle ruée vers l’or ne sont pas si différents de ceux qui débarquaient par centaines, en 1849, dans le port de San Francisco : des jeunes hommes essentiellement, ambitieux, désireux de vite toucher le pactole avant de pouvoir plier bagage. Et si, dans la région, le silicium a un temps joué les minerais précieux, c’est aujourd’hui une autre industrie qui en fait la richesse : des mines de données, extraites, raffinées, avant d’être écoulées dans le grand marché mondial. En l’espace d’une génération, la vallée s’est imposée comme le principal gisement de richesse aux États-Unis (en plus d’un redoutable contre-pouvoir politique).
Mais on sait depuis Blaise Cendrars que « l’or est maudit » et qu’il mène à la ruine la plupart de ceux qui lui consacrent leur vie. Si pour certains la Silicon Valley a des airs d’Eldorado numérique, pour d’autres, elle n’est qu’un mirage, un pays où la chasse à la « licorne » – du nom de ces entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars – nourrit fantasmes et déceptions. Et quand les nouveaux nababs de l’économie mondiale amassent des trésors une fois trouvé le bon filon, leurs cohortes d’ingénieurs s’entassent dans les banlieues sans âme – et hors de prix – de Palo Alto, Mountain View ou San Mateo. Sans même parler des laissés-pour-compte, des exclus que cette ruée a jetés à la rue. Car derrière ses slogans progressistes et son management en tee-shirt, la Vallée peine à dissimuler ses véritables principes : libéralisme échevelé, appât du gain, affranchissement de l’État et des services publics, célébration de l’individualisme.
Est-ce là le modèle dont veut s’inspirer le président Macron, lui qui durant sa campagne rêvait de voir la France devenir une « start-up nation » ? Le pays s’est en tout cas doté ces dernières années d’instruments à la hauteur de ses ambitions, à commencer par la Banque publique d’investissement : fondée en 2012, celle-ci est devenue l’an passé le fonds souverain le plus actif au monde dans le domaine de la « tech », avec des investissements de plus de 24 milliards d’euros dans quelque 200 start-up hexagonales. Avec l’ouverture de Station F, plus grand campus de start-up au monde, la multiplication des structures d’accueil au sein des grandes écoles, ou encore l’instauration d’une fiscalité généreuse via le crédit impôt recherche, la France peut s’imposer comme un leader européen dans le secteur. Reste encore à convaincre que cette société de la « disruption » représente un avenir désirable.