C’est une image très forte : une jeune fille, le visage encadré d’un large foulard aux couleurs pastel, vient nous dire en anglais : « L’État islamique ne représente ni l’islam ni aucun musulman. » Juste le temps d’une phrase et un jeune, les cheveux ras, en sweat-shirt, continue : « Ce qu’ils font est totalement anti-islamique. » Et ainsi de suite, des musulmans se succèdent à l’écran, une jeune femme au pull rouge, un senior moustachu. Ce clip, conçu en Grande-Bretagne, possède une énergie rare. Il est réjouissant. Pas du tout résigné ou soumis à une injonction britannique. Pas du tout hypocrite. Sincère au contraire, spontané. Il sonne comme une affirmation. Mais qui sont ces terroristes qui prétendent parler pour nous ? disent-ils chacun à leur manière. Ces gens sont les porte-parole de l’immense majorité silencieuse musulmane qui ne trouve pas les mots pour le dire. Les musulmans, ce sont eux, expliquent-ils. Des musulmans libres, modernes. Que l’organisation État islamique se taise, cesse de revendiquer la tutelle du Prophète. Not in my name ! L’expression, toute simple, a franchi la Manche. Les réseaux sociaux, en France, ont repris la formule. Cela donne des rafales de tweets « Pas en mon nom » en réponse aux communiqués sanguinolents du groupe État islamique. Cela veut dire, oui, nous sommes de ce pays, solidaires de chacun. Et cela résonne comme un acte d’émancipation fondateur.
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« L’islamisation est un mythe et nous sommes des animaux mythiques »
Raphaël Liogier
Pourquoi nombre de musulmans français se sentent-ils obligés de se dissocier des exactions de l’organisation État islamique alors qu’à l’évidence ils n’y sont pour rien ?
Ces dernières années, on les a sommés de se justifier. Tout le monde le leur demande. Pas seulement des intellectuels célèbres. Les médias aussi, de façon indistincte, avec l’idée qu’ils n’en font jamais assez pour se désolidariser des actes terroristes ou violents. Pour employer une notion de droit, il y a renversement de la charge de la preuve : le musulman doit se dédouaner de ne pas être un criminel. Tout le monde emploie une expression qu’il faudrait supprimer, celle de musulman modéré. L’islam serait comme l’arsenic. Si vous en prenez trop, si vous êtes trop musulman, vous êtes forcément un dangereux fondamentaliste. À l’inverse, l’expression de bouddhiste modéré ne fonctionne pas. Être intégralement musulman reviendrait ipso facto à être un violent intégriste.
Comment se traduit ce renversement de la charge de la preuve imposé aux musulmans ?
Souvenez-vous de la différence de traitement médiatique entre l’affaire Anders Breivik et l’affaire Mohammed Merah : c’est fascinant. Pour Breivik, les journalistes norvégiens décrivent l’acte d’un désaxé, d’un individu solitaire qui n’appartient pas à des réseaux. Or Breivik était impliqué dans de nombreux réseaux nationalistes d’extrême droite, il était lecteur assidu d’auteurs déplorant la décadence de l’Occident. Il a dû se défendre au cours de son procès pour faire admettre qu’il n’était pas fou mais rationnel, précisant que certains intellectuels pensaient comme lui en Europe. Il se targuait d’avoir agi et pas seulement parlé. Avec Merah, on a dit le contraire, qu’il était impliqué de longue date dans des réseaux islamistes. On a construit une vision dangereuse, puis on s’est aperçu que ce n’était pas des réseaux, mais au mieux des cellules dormantes, très disséminées, difficiles à raccrocher à une cohérence d’ensemble.
Tolérance
Robert Solé
Sommés de se désolidariser de l’État islamique, des musulmans de France s’en indignent : qu’ont-ils à voir avec les extrémistes d’Irak et de -Syrie ? Pourquoi les présume-t-on solidaires de ces fous furieux ?
Malheur aux minoritaires qui ne sont vus qu’à travers leur appartenance religieuse ! C’est encore plus vrai sous d’autres cieux : si des immigrés musulmans ou leurs enfants ont du mal à trouver leur place en -Occident, il a toujours été difficile aux chrétiens arabes de vivre en terre d’islam. Au temps des Croisades, ils passaient pour le cheval de Troie des envahisseurs. Par la suite, ils ont payé cher les initiatives guerrières de leurs coreligionnaires européens ou américains.