Avant, « ils » étaient ouvriers, femmes au foyer, femmes de ménage, collégiens… Peu à peu, « ils » sont devenus aussi agents de maîtrise, étudiants, cadres, militaires et policiers, professeurs, techniciens de surface, retraités… et propriétaires à 50 %. Surtout les musulmans de jadis, « là-bas en Algérie », qui étaient devenus force de travail et de lutte, sont redevenus « musulmans », mais musulmans avec un grand M, des imams, des lieux de prière et des débuts d’institutions. Cette renaissance, qui est aussi mutation, marque tardive de respect des croyances de chacun, peut s’analyser dans le fil d’une acceptation croissante de la seconde religion de France. Mais, au-delà de la reconnaissance tardive d’une culture et d’une religion qu’une minorité seulement pratique, au-delà d’un vent de radicalité qui traverse certains croyants, au-delà d’une petite, mais terrifiante, mouvance terroriste qui a inventé la première cyberguerre, nous sommes face à une société où le temps de non-travail domine largement le temps de travail. Quand en Europe seulement 12 % du temps commun est encore consacré au travail (contre 40 % il y a un siècle), forcément les activités de temps libre submergent la société : vacances et week-ends, culture et sport, télévision, séduction… mais aussi religions ! À nouveau la religion est visible et revendique une place dans l’espace public alors qu’elle était, pensait-on, un « avant » de la société industrielle. JMJ catholiques, pèlerinage à La Mecque, signes ostentatoires divers… Il n’y a pas « retour » du religieux ni augmentation du nombre de croyants. Non, nous vivons plutôt un renouvellement de sa mise en scène publique, avec exposition et revendication de respect. C’est cela qu’il faut entendre. Par exemple, en favorisant dans chacune de nos treize capitales régionales la construction d’une grande mosquée et d’un centre culturel musulman. Respect, je vous dis. Signe de liberté de croyance dans une société laïque. Voire financement par un emprunt centenaire de la Caisse des dépôts, remboursé par les fidèles grâce à une possible déduction fiscale. Aimer enfin l’islam en Europe est une des armes contre la cyberguerre qu’on nous fait.
Pour une France des 13 grandes mosquées
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« La France et l’islam ont tous les deux un problème, et c’est le même »
Abdennour Bidar
Qu’est-ce qui ne va pas avec l’islam en France ?
Côté musulman, on se sent montré du doigt, stigmatisé, discriminé. On se demande : « Pourquoi tant de haine et d’islamophobie ? » Du côté du reste de la société française, on s’étonne que les musulmans « ne comprennent pas qu’ils ont un problème ». On assiste ainsi à la prolifération maligne des reproches, des accusations et de la défiance. Au grief : « Vous ne voulez pas nous intégrer, ou voir que nous le sommes déjà », s’oppose un grief inverse : « Vous ne voulez pas voir vos difficultés d’intégration, ou vous ne voulez pas vous intégrer ». J’essaie sans cesse d’agir, d’écrire, d’intervenir, pour recréer du lien et contribuer à réparer cette déchirure. Dans mon Plaidoyer pour la fraternité paru en 2015 chez Albin Michel, j’en appelle à l’engagement résolu de toutes les bonnes volontés contre l’aggravation de cette incommunicabilité attisée par les extrêmes, au point que trop de nos concitoyens – musulmans ou non – se laissent convaincre par l’idée dangereuse et fausse que « décidément, on ne va pas pouvoir vivre ensemble parce qu’on est trop différents ». D’où la montée parallèle du repli identitaire et du repli communautariste, avec un risque très dangereux de partition pour notre société.
[Discrétion]
Robert Solé
Nommé à la tête de la Fondation pour l’islam de France, Jean-Pierre Chevènement a conseillé aux musulmans la « discrétion dans l’espace public, en cette période difficile ». Le mot a fait polémique, alors que l’ancien ministre de l’Intérieur, peu suspect d’islamophobie, ne faisait que paraphraser l’imam bordelais Tareq Oubrou, qui appelle régulièrement ses coreligionnaires à faire preuve de « visibilité modérée » pour mieux s’intégrer dans la société française.