De quoi parle-t-on ?
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Le débat autour du port du burkini active de manière pavlovienne postures et marronniers journalistiques comme politiques. Il s’agit de mettre en scène d’un côté ceux qui semblent considérer que le meilleur moyen de lutter contre une idéologie antilaïque est d’encadrer par le droit les comportements individuels, dénaturant l’idée du droit à des fins tacticiennes ; et de l’autre, les défenseurs, au nom de la liberté de conscience, du droit pour chacun d’habiter l’espace public comme il l’entend, déniant toute légitimité aux interrogations sur le sens idéologique de ces signes et leurs poids régressif dans la vie collective.
On s’interroge sur l’islam et sa « réforme » attendue, sur le rôle de l’État et la place des musulmans en France… Le questionnement paraît aussi infini que sans issue. Afin de rendre plus constructifs ces débats, il pourrait être utile de rappeler quelques évidences :
1. « Islam » est un mot valise. Il existe des islams, traversés par différentes écoles et des pratiques qui sont géographiquement situées, comme il y a des christianismes, des bouddhismes ou des judaïsmes. Cette pluralité implique le débat.
2. Dans un appel publié le 31 juillet par le JDD, une quarantaine de « personnalités françaises » se sont exprimées sur ces questions « en tant que musulmans, de foi ou de culture ». Mais il ne suffit pas de s’appeler Rachid ou Rachida pour être légitimement invité à débattre du contenu de la Révélation. Seuls ceux qui sont croyants – qu’ils se reconnaissent dans la tradition sunnite, majoritaire en France, dans les confréries subsahariennes, dans les traditions chiites ou duodécimaines, ou encore dans les différentes variétés de soufismes – peuvent légitimement débattre du contenu de leur foi et de son éventuelle réforme. En effet, au-delà des qualités intellectuelles des uns et des autres, encore faut-il être personnellement concerné par ces questions. La force d’un Bernanos, dans Les Grands Cimetières sous la lune par exemple, tient à ce qu’il a fait de l’Évangile l’engagement d’une vie d’écriture, comme chacun sait. Les musulmans ne peuvent en aucune manière se reconnaître dans des paroles qui n’apparaîtraient pas, elles aussi, inspirées par la foi en Dieu, même si elles se réclament de la culture musulmane.
3. Le 16 août, Le Monde évoquait le « curriculum vitæ brillant » de ces mêmes signataires, « médecins, chefs d’entreprise, ingénieurs, universitaires, avocats, cadres supérieurs… » Il n’y a pas lieu de retenir la réussite sociale comme critère de légitimité, en opposant une élite cultivée au petit peuple des blédards fréquentant la mosquée ou les sites Internet et parlant mal le français. Même animé par la foi du charbonnier, chacun a sa place dans ces discussions.
4. S’il y a un mouvement « libéral » juif, c’est parce que celui-ci a ses lieux, ses synagogues qui diffusent un savoir et des prières, et même des femmes rabbins. Si Marc Sangnier a influencé le monde catholique, c’est grâce à l’engagement des militants du Sillon. Et le vieux protestantisme ne serait pas aussi libéral si ses penseurs, qui jouèrent un rôle décisif pour faire advenir la séparation entre les Églises et l’État, n’avaient pas dans le même temps été profondément fidèles au Désert. De même, c’est en acceptant de prendre part à la vie des mosquées, ou d’en ouvrir eux-mêmes si aucune ne répond à leurs attentes spirituelles, que les musulmans désireux de combattre les maladies de l’islam, des plus modestes aux plus éduqués, pourront avoir une influence sur leurs coreligionnaires.
5. L’État laïque ne peut avoir sa place dans ce débat, de même qu’il n’a pas d’avis sur la nécessité d’ouvrir ou non la prêtrise aux femmes, ou qualité pour définir ce qui est de l’ordre du prône, de la prière ou du prêche. Il peut en revanche avoir un rôle terre à terre mais décisif : aider ceux qui sont prêts à prendre des responsabilités institutionnelles pour servir leur culte à mettre en place ce qui fait aujourd’hui essentiellement défaut à l’islam de France : un institut de théologie qui puisse être le lieu de formation de futurs imams et aumôniers en même temps que le lieu d’une exégèse faisant vivre un islam des Lumières. C’est tout l’enjeu de la future fondation qui sera présidée par Jean-Pierre Chevènement.
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