En 1883, alors que le bison d’Amérique et le pigeon voyageur étaient en voie d’extinction, les ressources marines paraissaient tellement inépuisables que le biologiste anglais Thomas Huxley déclarait : « Toute tentative de régulation des pêches semble, de par la nature des choses, inutile. » Aujourd’hui, grâce à la reconstitution des données archéologiques et historiques, nous savons que ce n’était pas le cas, car la révolution industrielle avait considérablement modernisé les pratiques de pêche. Ils ne le savaient pas.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les activités de pêche ont été interrompues en mer du Nord, et cela a permis d’observer une restauration des stocks halieutiques. Ce constat a contribué à une prise de conscience de la nécessité de créer des aires marines protégées (AMP). En effet, lorsque les activités de pêche cessent, une cause de mortalité est éliminée et les organismes ciblés peuvent vivre plus longtemps. À court terme, la densité et la taille des poissons augmentent. Dans la réserve des îles Medes en Espagne, les mérous peuvent être jusqu’à six fois plus gros. À moyen et long terme, la protection bénéficie à l’économie locale et aux pêcheries car les poissons adultes, les larves et les œufs se répandent au-delà des limites de la zone protégée. Par exemple, à Santa Barbara, en Californie, une réduction de 35 % de la zone de pêche a été compensée par une augmentation de 225 % des captures totales de langoustes après six ans. Dans le parc marin national de Bonaire, dans les Caraïbes, les droits d’entrée génèrent plus d’un million d’euros par an. Pour obtenir de tels résultats positifs, il est nécessaire d’instaurer une protection intégrale, où toute extraction de ressources est interdite. Maintenant, nous le savons.

Un autre tiers de ces espaces dits protégés reste ouvert à des activités industrielles comme le chalutage de fond.

Officiellement, les choses avancent. Lors de la COP sur la biodiversité de Montréal, en 2022, les pays membres de l’ONU se sont accordés pour protéger 30 % de l’océan. Mais, en la matière, la qualité est en retard sur la quantité. Avec un groupe de scientifiques, nous avons analysé les cent plus grandes AMP déclarées dans le monde, qui représentent 90 % de la couverture en zones protégées. Résultat : sur un quart de la surface déclarée, la protection n’est pas mise en œuvre. Les AMP concernées n’ont ni réglementation ni plan de gestion ou de surveillance. Les déclarer suffit à les faire exister, même si rien de concret n’est instauré. Un autre tiers de ces espaces dits protégés reste ouvert à des activités industrielles comme le chalutage de fond. Les zones sous « protection intégrale » représentent à peine un sixième de l’ensemble. En Méditerranée, seulement 0,23 % de la superficie jouit d’une protection intégrale. En France, sur le papier – et c’est ce qui est rapporté à l’ONU –, l’objectif des 30 % est atteint, avec 33,7 % des eaux françaises couvertes par une AMP. Cependant, notre pays autorise le chalutage dans la plupart de ses aires marines, et moins de 0,1 % des bassins méditerranéen et atlantique sont sous protection intégrale. Quant au récent traité permettant d’établir des AMP en haute mer, au-delà des juridictions nationales, il exclut de réglementer la pêche.

La politique du chiffre ne suffira pas. La course à l’atteinte des objectifs internationaux en matière de biodiversité risque même de créer un faux sentiment de sécurité, laissant croire que les mesures appropriées sont prises. Nos efforts actuels sont insuffisants pour gérer les activités humaines en mer. Les niveaux de protection doivent être relevés pour fournir des bénéfices tangibles en matière de conservation de la biodiversité. La Commission européenne demande désormais qu’un tiers de ses AMP soient intégralement protégées, mais certains pays, dont la France, s’y opposent. Les décideurs doivent être tenus pour responsables. Nous ne pouvons plus dire que nous ne savions pas.