LES LIBANAIS sont les premiers à constater les dérives de leur système confessionnel, et souvent à en rire. Parmi les innombrables blagues qui s’inventent à Beyrouth depuis des décennies, il y a par exemple ce dialogue :
« Es-tu chrétien ou musulman ?
– Je suis athée.
– Ah bon… Très bien. Athée chrétien ou athée musulman ? »
Les Libanais s’agacent en revanche d’entendre le mot « libanisation » dès qu’il est question, quelque part dans le monde, d’un délitement des institutions, de la fragmentation d’un État, d’un affrontement entre communautés ou groupes sociaux… À la fin des années 1990, un professeur de médecine beyrouthin avait fait le siège du Petit Larousse pour qu’il cesse de donner à ce terme une définition « cavalière, sectaire et préjudiciable ». Mais le mot était déjà entré dans le langage courant, complété par une exclamation tout aussi désagréable pour exprimer la chienlit : « C’est Beyrouth ! »
On aimerait, un instant, oublier ce cauchemar et prendre les choses à l’envers. Souligner que le Liban a été victime de la lâcheté et du cynisme de ses voisins qui n’ont cessé de l’accabler de réfugiés et de s’y livrer à des guerres par procuration. Souligner que le Liban est le seul État du monde arabo-musulman – Israël compris – qui n’ait pas réduit ses minorités religieuses à une citoyenneté de seconde zone. Souligner l’étonnant dynamisme des Libanais qui, malgré tous leurs malheurs, se sont distingués, aux quatre coins de la planète, dans les affaires, les nouvelles technologies, la littérature, le théâtre, la musique, la gastronomie… Qui a fait mieux, avec tant d’entraves et si peu de moyens ? On aimerait effacer le mot libanisation et ne parler que de libanité.