« C’est un travail ingrat », assène Sekou*, posté devant l’entrée du bar dansant qu’il garde chaque soir. Pour être recruté comme agent de sécurité, il a suivi une formation et misé sur son physique. Un mètre quatre-vingt-dix et cent kilos. À son actif, quelques cours de judo et pas mal de « bagarres de rue » – utiles apparemment. « Dès ma première semaine de boulot, un type m’a agressé, je me suis défendu en le traînant par terre. » Sekou a fini sa soirée au commissariat sans que son patron intervienne. « Un travail ingrat », répète-t-il.
Ce soir, l’ambiance est calme. Trois jeunes se dirigent d’un pas lent vers le pub, jetant quelques coups d’œil furtifs au videur, histoire de jauger la bête. Sans sa carrure, Sekou n’aurait pas été embauché. « J’effraie », observe-t-il, réaliste. Il lui arrive pourtant de se sentir en danger. Aimerait-il davantage de protection ? « Non, s’il le fallait, je porterais un gilet pare-balles mais je ne suis pas confronté aux armes ici », répond-il après quelques secondes de réflexion.
Son travail est pénible, il le reconnaît, mais cette pénibilité construit l’identité même de sa profession. Comme ces éboueurs dont on attend une résistance aux intempéries ainsi qu’une force physique permettant de porter de lourdes charges, selon les critères de recrutement de la mairie de Paris. Ou encore ces ouvriers qui, pour être reconnus par leurs pairs, laissent tomber le harnais lorsqu’ils travaillent en hauteur. C’est le métier qui rentre, disent-ils.
Au fil de la conversation, Sekou rapporte ses faits d’armes. Un soir, devant une boîte de nuit, il s’est joint à quatre vigiles pour frapper un fêtard armé et menaçant… Direction l’hôpital. « On priait pour qu’il sorte du coma », se rappelle-t-il. Le plus souvent, il « use de sa ruse ». « On ne peut pas se faire condamner pour avoir poussé quelqu’un, alors je pousse. Ensuite, je donne des patates mais il ne faut pas que le sang coule. » Sekou paraît fier d’avoir été sélectionné. « Il ne faut pas être peureux pour exercer ce métier. » Mais à choisir, il préférerait travailler dans un bureau et prendre des pauses-café. Sauf que Sekou n’a pas le choix. Il est originaire de Côte d’Ivoire et selon lui, « être videur, c’est un boulot d’immigrés ».
CLARA WRIGHT