Il aura suffi d’une séance d’humiliation infligée à Volodymyr Zelensky pour que nous n’ayons plus le moindre doute : le monde tel qu’il était configuré depuis quatre-vingts ans a changé de base. Longtemps préservée, l’Europe renoue avec l’histoire et son cortège de tragédies. Tout cela était écrit de longue date, le retrait états-unien, l’expansion russe, mais l’affrontement obscène dans le Bureau ovale nous aura permis de ressentir au plus intime le retour de la brutalité.
Les mastodontes Trump et Poutine ayant conclu leur deal – abandon de l’Ukraine en rase campagne et pillage de ses terres rares –, l’Europe se retrouve seule aux avant‑postes d’un conflit sanglant à ses frontières orientales. Comment s’affranchir du grand frère américain ? C’est la question que nous posons dans ce numéro du 1 hebdo.
Engagé de longue date aux côtés des Ukrainiens, le député européen Raphaël Glucksmann, dans le long entretien qu’il nous a accordé, plaide avec vigueur pour que l’Europe sauve le soldat Zelensky (et l’indépendance de son pays) et se protège par là même des menaces russes, qu’elles s’expriment dès à présent dans la guerre hybride ou demain à travers l’annexion de nouveaux territoires habités par des russophones.
Comment s’affranchir du grand frère américain ?
Son message est clair : l’émancipation européenne passe par une mobilisation financière, industrielle et militaire sans précédent. Contrairement aux bobards en rafale de Donald Trump*, les Européens ont déjà consenti un effort budgétaire non négligeable, que les sommets successifs ont amplifié. L’Europe centrale et scandinave avait montré la voie des 3 % de PIB consacrés aux dépenses militaires, et le vieux rêve d’une défense européenne souveraine se retrouve soutenu par l’Allemagne et le camp atlantiste désormais orphelin.
L’enjeu est de taille. Il s’agit de mobiliser une industrie de l’armement continentale, d’inventer une configuration de commandement inédite (quid des milliers d’officiers d’état-major de l’Otan ?), de débattre d’une nouvelle dissuasion nucléaire et de se passer du savoir-faire américain en matière de renseignement militaire et de couverture aérienne. Avec un impératif : éviter que le front ukrainien ne soit enfoncé par les troupes russes.
Après les sommets politiques, une réunion des chefs d’état-major européens devait examiner à Paris la possibilité d’un déploiement de militaires en Ukraine pour garantir un possible cessez-le-feu. Perspective qui a conduit Poutine à agiter le spectre des défaites napoléoniennes en Russie. L’histoire est bien de retour.
* L’Allemagne contribue au budget de l’Otan à égalité avec les États‑Unis (15,88 %), la France est juste derrière (10,19 %). Quant à l’aide aux États-Unis, les Français ont participé à l’intervention en Afghanistan après le 11-Septembre.