Qu’est-ce que l’État de droit ? La question, qui ressemble à une colle pour apprenti juriste, ne relève pas seulement de la discussion théorique, ou du rappel utile pour réaffirmer les valeurs sur lesquelles sont fondées nos démocraties. En déclarant le 28 septembre, dans le journal Le JDD, que l’État de droit « n’est pas intangible, ni sacré », le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a mis cette notion en pleine lumière, suscitant l’émotion et la désapprobation jusque dans son propre camp. « La source de l’État de droit, ajoutait-il, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain ». Une vision dangereuse qui accréditerait l’idée que si le peuple est convaincu (ou manipulé ?) par des arguments contraires au droit, en particulier à la Constitution et aux traités internationaux, alors le droit devrait s’incliner face à la vox populi. On devine les dérives possibles d’une telle approche, sur les questions par exemple très sensibles des migrants demandant l’asile dans notre pays.
Mais cette charge contre l’intangibilité de l’État de droit n’est pas une spécialité française. Deux semaines avant l’élection présidentielle américaine, l’ancien chef de cabinet de Donald Trump, John Kelly, déclarait à propos du candidat républicain : « Il n’a aucune compréhension de la Constitution ou du concept d’État de droit », ajoutant qu’« il gouvernerait comme un dictateur si on le lui permettait »…
C’est ainsi que l’État de droit a surgi dans le débat public à travers une actualité inattendue mais bien réelle. Comme sont réelles les menaces qui pèsent sur son intégrité. Mais de quoi parlons-nous ? Si la notion échappe à la définition « claire et simple », comme le dit d’emblée André Potocki, ancien juge à la Cour européenne de justice de Strasbourg, elle n’en est pas moins essentielle pour garantir à la fois la possibilité d’une vie en société et la liberté de chacun. L’État de droit est une construction hybride qui recouvre à la fois le principe de séparation des pouvoirs, l’égalité devant la loi, le respect d’une hiérarchie des normes, la présomption d’innocence – défendue ici par l’avocate Julia Minkowski –, l’ensemble venant en soutien de l’essentiel : la garantie que soient préservés, appliqués et défendus, en tous lieux et en toutes circonstances, les droits fondamentaux de la personne. Comme le montrent les différents témoignages et analyses de ce numéro exceptionnel conçu en partenariat avec la Foire du livre de Brive, l’État de droit n’a pas toujours été protégé ou a été détourné de sa finalité. Il est aujourd’hui fragilisé dans les régimes dits illibéraux qui l’instrumentalisent au détriment du peuple, et en particulier des opposants, dans une forme de fascisme rampant où les prétendus intérêts collectifs écrasent les libertés individuelles. C’est dire combien il reste un marqueur essentiel de nos démocraties, intangible sinon sacré…