Quel discours le camp trumpiste peut-il opposer au camp Harris aujourd’hui pour espérer l’emporter ?

Le projet de Trump, aujourd’hui, est une sorte de populisme nationaliste. Son discours est centré autour de trois éléments principaux : une restriction massive de l’immigration, une politique commerciale protectionniste qui favoriserait la production nationale et réduirait la dépendance des États-Unis – à la Chine, notamment – et une politique étrangère moins interventionniste. Sans oublier sa thèse, qu’il défend constamment, selon laquelle l’establishment politique américain serait corrompu et dirigé par des élites progressistes ou « woke » qui profiteraient du système, au détriment des « vrais Américains », tout en leur imposant leurs valeurs. Ce discours a d’ailleurs parfois des accents révolutionnaires : il s’agit rien de moins que de renverser les institutions contrôlées par les élites progressistes.

Comment ce discours concilie-t-il les visions de la tech portées par Elon Musk et Peter Thiel et celles du conservatisme social du colistier de Donald Trump, J.D. Vance ?

Pour ces géants de la Silicon Valley, le rêve technologique a été tué dans l’œuf. Le cofondateur de Paypal Peter Thiel le dit en ces termes : « Nous rêvions de voitures volantes, nous avons eu 140 caractères. » Les nouvelles technologies pouvaient métamorphoser nos vies, mais qu’en avons-nous fait ? Des smartphones qui nous rendent malheureux, des réseaux sociaux aliénants… Musk et d’autres ont accusé l’élite « woke » d’avoir perverti les promesses fondamentalement révolutionnaires que portait la technologie à travers la réglementation gouvernementale, la censure, le contrôle des marchés financiers. Toutefois, leurs positions très libertariennes ne sont pas toujours en accord avec celles de Trump et de ses partisans Maga [du slogan « Make America Great Again »], qui penchent en faveur d’un renforcement du rôle de l’État. Quant au conservatisme social de J.D. Vance, c’est l’un des points de tension au sein du parti. En 2022, lors de sa candidature aux élections sénatoriales, il a soutenu l’interdiction de l’avortement à l’échelle fédérale avec des exceptions en cas de viol ou d’inceste. Récemment, il est revenu sur sa position afin de soutenir celle de Trump, plus stratégique : laisser les États décider. Des propos tenus en 2021 par le colistier de l’ex-président qui se plaignait du fait que le pays était dirigé par des démocrates incompétents et des « vieilles filles » ont également refait surface, le mettant dans l’embarras. Ce conservatisme pourrait devenir un point de tension entre les deux hommes : à quel point sont-ils respectivement prêts à défendre un programme politique fortement conservateur ? 

Quels électeurs vont-ils chercher et comment s’y prennent-ils ?

Les électeurs choyés par Trump dans ses meetings ne sont pas nécessairement ceux dont il aura besoin pour remporter l’élection en novembre prochain. Les femmes vivant dans les banlieues résidentielles, peu politisées, sont une base électorale clé pour cette présidentielle. Leur influence sera considérable. Le candidat républicain a essayé de les convaincre en accusant les démocrates d’être responsables de l’inflation et de la hausse du coût de la vie, mais cela sera-t-il suffisant ? Son équipe de campagne lui intime de se concentrer sur la question essentielle du pouvoir d’achat, mais pour des raisons certainement liées à sa personnalité, Trump ne cesse de revenir à la même rengaine : il serait victime des médias dominants et de l’administration Biden. Les électeurs noirs et hispaniques non diplômés sont aussi un réservoir de voix convoité, qu’il paraît également négliger.

« Une unité de façade derrière Trump un peu hypocrite »

Lors de la convention républicaine de Milwaukee, en juillet dernier, les figures du parti ont affiché une image d’unité. Le parti fait-il réellement bloc derrière Trump ?

C’est une unité de façade, un peu hypocrite. Ils veulent capitaliser sur l’élan de sympathie provoqué par la tentative d’assassinat contre Trump, le 13 juillet. Qu’en sera-t-il lorsque les élections seront passées ? S’il perd, que fera le Parti républicain et comment se reconstruira-t-il ? Et auprès de qui ? Quelqu’un comme Vance pourrait-il se poser en héritier du trumpisme ? Ou, au contraire, d’anciens conservateurs anti-Trump tenteront-ils de reprendre la main sur le parti ? Le degré d’études supérieures et la classe sociale sont des éléments clés pour comprendre les divisions à l’intérieur du parti tout comme de son électorat. Les anti-Trump, au sein du parti, sont généralement très éduqués, sortent des meilleures universités du pays. C’est moins le cas pour les partisans de Trump. J.D. Vance a certes étudié à Yale, mais il a grandi dans une famille minée par la pauvreté et la toxicomanie, dans la Rust Belt, en Ohio. Cette enfance, qu’il a racontée dans son autobiographie Hillbilly Élégie, est au cœur de son discours politique.

Quelles sont les chances que Vance incarne la relève du parti ?

Tout dépend des résultats de novembre. Vance s’inscrit dans la ligne de nombreuses figures de la Silicon Valley, mais surtout des intellectuels de ce qu’on appelle la « New Right », une mouvance prônant un conservatisme social fort et critiquant le néolibéralisme. Il y a quelques années, lorsque j’ai commencé à m’intéresser à Vance, de nombreux membres du Parti républicain que j’interviewais à Washington me confiaient qu’il était le seul à parler leur langage et à défendre une vision du monde en laquelle ils croyaient. S’il sait exploiter cette dynamique, il pourra avoir une longue carrière au sein du parti. Mais si Trump n’est pas élu en novembre, Vance aura du mal à remonter la pente. D’autant que Trump n’est pas du genre à prendre ses responsabilités. Vance pourrait alors incarner le parfait bouc émissaire. 

 

Propos recueillis par EMMA FLACARD