Après le 7 octobre, j’ai voulu lire et relire certains textes pour chercher de l’aide et comprendre les racines de ce désir humain de s’engager dans la guerre et de tuer. Et dans cette quête, un échange de lettres entre Freud et Einstein a servi de révélation. Entre 1931 et 1932, la Société des nations, qui a précédé la création de l’ONU, a demandé à Albert Einstein de choisir un intellectuel avec qui discuter d’une question. Einstein choisit Sigmund Freud. Et la question autour de laquelle ces deux grands esprits se sont retrouvés était : pourquoi la guerre ? 

Pourquoi les gens se font-ils la guerre ? Mon film Why War fait suite à cet échange de lettres entre Einstein et Freud, qui a défini le discours moderne sur la violence humaine de masse qui se produit au nom de la religion, de la race et du nationalisme. Le cinéma que je fais est toujours inspiré par la réalité que nous vivons – House (1980), Kadosh (1999), Kippour (2000), Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin (2015). Une fois de plus, j’ai choisi de dialoguer avec la réalité cruelle de cette région. Le film évite de montrer l’iconographie et les photographies des horreurs de la guerre et des destructions qui continuent d’alimenter de nouveaux conflits. L’idée était de proposer un film narratif sans montrer la guerre. Je me suis également appuyé sur un texte de Virginia Woolf, Trois Guinées (1938), dans lequel elle étudie les relations de domination dans la sexualité, auquel répond un autre essai de Susan Sontag, Devant la douleur des autres (2003), qui parle également de l’iconographie de la guerre. 

« Construire des ponts au lieu de les brûler »

Nous ne sommes pas condamnés à la guerre et à la violence, au contraire. Mais il est vrai qu’à certains égards, c’est la solution la plus facile et en même temps la plus terrible. Lorsque j’ai traité de l’assassinat de Rabin, c’était déjà le cœur de ce que j’essayais de comprendre. Cette correspondance entre Einstein et Freud me permet de poursuivre mes recherches sur la manière dont on peut trouver des solutions pacifiques pour réconcilier des positions éloignées et éviter des conflits armés. Autour de ce dialogue extraordinaire entre deux intellectuels brillants, j’ai construit un film poétique où la guerre n’est jamais visible. Le cinéma a déjà beaucoup raconté la guerre, et continue de le faire. Je voulais relever un autre défi, explorer une autre approche narrative. 

Même si je suis personnellement parti du conflit israélo-palestinien, le film s’oriente vers une réflexion universelle. Et, pour moi, le cinéma a une mission civique. C’est ce que j’essaie d’apporter à ma cinématographie. Nous vivons dans un monde où le dialogue est devenu de plus en plus compliqué et rare, ce qui favorise les positions extrêmes, comme on le voit aussi dans de nombreuses parties du monde. J’aimerais pour ma part construire des ponts au lieu de les brûler. Nous, les réalisateurs, mais aussi tous les artistes en général, nous ne devons pas, je crois, nous résigner aux divisions. À la veille du 7 octobre, je savais que nous étions dans une situation explosive en Israël, mais cette prise de conscience n’a pas amorti le traumatisme pour quelqu’un comme moi, qui essaie depuis longtemps de faire parler les Israéliens et les Palestiniens à travers l’art, les films et les œuvres théâtrales. Dans l’Antiquité, le rôle traditionnel des artistes était d’être des guérisseurs. De guérir les âmes. J’aimerais adopter l’idée que le cinéaste ou l’artiste est un guérisseur. 

Mon grand-père Eliahou, un socialiste juif radical d’origine russe, m’a donné mon prénom, Amos, en hommage au Livre d’Amos, dans l’Ancien Testament : « C’est parce que vous avez foulé le misérable, et que vous avez pris de lui du blé en présent. Vous avez bâti des maisons en pierres de taille, mais vous ne les habiterez pas. Vous avez planté d’excellentes vignes, mais vous n’en boirez pas le vin. Car, je le sais, vos crimes sont nombreux, vos péchés se sont multipliés. Vous opprimez le juste, vous recevez des présents. Et vous violez à la porte le droit des indigents. Car c’est un temps de malheur. Recherchez le bien et non le mal, afin que vous viviez » (Amos 5, 11-14).

Les atrocités barbares perpétrées par le Hamas le 7 octobre sont impardonnables. Il n’y a aucune raison de violer des femmes, de brûler des gens vivants. Rien ne peut justifier de tels crimes, pas même un mouvement de libération nationale. Je ne conseillerais pas à mes amis palestiniens de vivre sous le régime du Hamas, sans droits pour les femmes, pour les LGBT ou pour les chrétiens d’Orient. Le cycle morbide actuel donne envie de pleurer.

Aujourd’hui, un rituel terrifiant s’est mis en place, avec des bombardements, le gaspillage de vies humaines et de toutes les ressources de cette région, pour un conflit militaire, encore et encore. Et l’immense tragédie pour les civils palestiniens de Gaza. Le gouvernement israélien actuel de Netanyahou et ses alliés d’extrême droite et ultraorthodoxes pensent que le conflit peut être résolu par la force. Mais il n’y aura jamais de solution permanente sans un dialogue approfondi prenant en compte les droits légitimes des deux parties. 

Traduction par Sylvain cypel

* J’ai pris la traduction des Éditions Sinaï. Il y en a tant, il fallait bien en choisir une (N.d.l.a.).

Illustration Stéphane Trapier