Dans la longue chronologie de la Grande Guerre, l’année 1917 marque une révolution. Pour au moins trois raisons. La première tient à l’intervention américaine qui donne d’un coup au conflit sa pleine dimension mondiale. La deuxième raison s’écrit en rouge comme la Révolution russe qui met un terme au tsarisme en février et mène les bolcheviques au pouvoir en octobre. Enfin, après trois ans de combats, le découragement des poilus prend la forme du pacifisme. Des soldats refusent de monter au front et la paix, ce mot tabou, devient l’horizon provisoire de ces hommes à bout.
C’est ce moment si particulier de rébellion collective que le 1, avec les historiens de la Mission du centenaire, essaie de saisir dans ce numéro. Un moment que nous confondons bien souvent avec l’histoire des « fusillés pour l’exemple » des années 1914-1915. Or les deux épisodes, également tragiques, n’ont rien de commun comme l’explique l’historien André Loez.
Les fusillés pour l’exemple ont été pour la plupart arrêtés dans les premiers mois de la guerre, alors qu’un mélange de panique et d’envie de vivre les conduisait à fuir le front ou que la peur les tétanisait, les empêchant d’obéir. Condamnés à mort sans pouvoir former un recours, passés par les armes dans la foulée, ils furent les victimes d’un arbitraire lié aux tensions militaires de l’époque. Près de 600 soldats ont été exécutés.
Le cas des mutins de 1917 est d’une autre nature. Ce qui frappe d’emblée, c’est la soudaine prise de parole des soldats dans une société qui en a perdu l’usage. C’est l’expression d’un pacifisme jusque-là inaudible à travers le plus simple des slogans : « À bas la guerre ! » Ni la censure ni la surveillance militaire n’ont su ou pu empêcher les mutineries d’éclater et de se développer en mai et juin, quelques semaines après la nouvelle hécatombe du Chemin des Dames.
Ce mouvement sans précédent s’est traduit par des milliers de procès à la chaîne. Une justice sévère qui condamnera au peloton 500 soldats, pour finalement en exécuter 26 après intervention du pouvoir civil. Au-delà de ce bilan, ce qui frappe, c’est bien l’ampleur de ces mutineries spontanées qui ont touché les deux tiers des divisions. Des mutineries vouées à l’échec, faute de direction politique et d’organisation. L’insoumission ne s’est pas transformée en insurrection générale. Mais elle a suspendu l’intensité des combats durant de longues semaines. Comme si les deux armées ennemies, exsangues, aspiraient pareillement à la paix. Un siècle a passé. Beaucoup a été écrit sur les erreurs de stratégie du commandement militaire, sur les défaillances du ravitaillement, sur les « planqués » de l’arrière. Notre ambition, dans ces pages, n’est pas de réhabiliter, encore moins de condamner les mutins de 17, mais de comprendre leurs raisons et de leur rendre leur humanité et leurs espoirs déçus. Pour mémoire.