Les scénarios sur l’évolution du travail divergent selon les auteurs. Les thèses radicales de Jeremy Rifkin sont critiquées par le professeur Jean Gadrey qui prévoit l’avènement d’une économie du « prendre soin ». Des chefs d’entreprise bouleversent les structures hiérarchiques traditionnelles pour stimuler l’inventivité de chacun. Avec les fab labs, ces ateliers collaboratifs, la créativité trouve de nouveaux lieux d’expression.
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L’idéal serait de travailler 5 à 6 heures par jour, 5 jours par semaine
Jeremy Rifkin
Dans votre dernier ouvrage, vous poursuivez votre réflexion sur ce que vous appeliez en 1995 « la fin du travail » en annonçant une troisième révolution industrielle. De quoi s’agit-il ?
La troisième révolution industrielle correspond à la disparition progressive du capitalisme au profit d’un nouveau système économique, fondé sur le partage et les communautés collaboratives. Cette transition, qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux, est la conséquence du développement des nouvelles technologies, et notamment de l’imprimante 3D, qui permettent de réduire considérablement le coût marginal, c’est-à-dire le coût de production d’une unité supplémentaire. Grâce à l’« Internet des objets », l’humanité entière sera bientôt connectée. Sous réserve que la protection des données personnelles et le principe de neutralité du Web soient garantis, chacun pourra, sur son smartphone, tirer profit des Big Data [les données numériques à la croissance exponentielle] et devenir un véritable prosumer, mi-producteur, mi-consommateur.
Quand cette transition aura-t-elle lieu ?
Elle a déjà débuté, au grand dam des industries. La télévision a été durement frappée par l’arrivée de YouTube, le monde de l’édition et de la presse ne peuvent plus rivaliser avec Internet. Depuis des années, des centaines de millions de jeunes produisent et partagent leurs propres musiques et vidéos, libres de droits et à un coût marginal proche de zéro. Et maintenant les MOOCs : depuis 2012, six millions d’élèves ont reçu des crédits universitaires en suivant gratuitement des cours en ligne pendant que d’autres payaient des milliers de dollars pour avoir accès aux mêmes enseignements. Il est urgent de prendre le train en marche, notamment en France où la croissance du PIB ralentit, l’écart entre les salaires se creuse et le chômage des jeunes s’aggrave.
Porter un rêve partagé
Jean-François Zobrist
Tout au long de ma carrière, je n’ai cessé d’avoir un seul et même mode de fonctionnement que résume parfaitement la formule suivante du philosophe François Jullien : « Le bon prince est celui qui, en supprimant les contraintes et les exclusions, permet à chaque existant de s’épanouir à son gré. Agir sans agir, qui est une forme de laisser-faire, qui n’est pas ne rien faire du tout. Car cela revient à faire en sorte que les choses se fassent toutes seules, dans le sens de l’intérêt collectif. »
Ma liberté au travail, je la dois à un patron exceptionnel avec lequel j’ai eu la chance de collaborer pendant quarante-sept ans, Max Rousseaux. En partant de rien, il a créé après-guerre une trentaine de sociétés et géré près de 12 000 salariés avec des principes simples.
Travailloter
Robert Solé
Méfions-nous du verbe travailler : il ne signifie pas forcément exercer une activité professionnelle ou accomplir un effort dans un but précis. Venant du latin tripaliare (« torturer »), ce mot ambigu porte l’idée de préoccupation et de tourment. On peut dire, par exemple, que le chômage nous travaille.
Baudelaire, qui n’était ni éboueur ni mineur de fond, pouvait proclamer : « Travailler est moins ennuyeux que s’amuser. » Tout aussi catégorique, Matisse affirmait, pinceau à la main : « Le travail guérit de tout. » Peut-être. Encore faut-il en avoir.