Pouvait-on éviter le carnage de Verdun ? Oui, si chaque puissance avait pu prévoir les desseins de son adversaire. Au contraire, les parties en présence se sont gravement trompées. Les militaires français estimaient à tort que les Allemands se garderaient de porter une attaque majeure sur un terrain aussi difficile et aussi fortifié que Verdun. Quant aux Allemands, ils étaient persuadés que l’offensive sur Verdun les servirait beaucoup à peu de frais, croyant pouvoir affaiblir la France de façon décisive en « bombardant les lignes françaises à grand renfort d’énormes canons sans trop risquer de pertes en soldats ». Ils se leurraient eux aussi.

La bataille de Verdun n’a-t-elle servi à rien ?

Non, car elle a fait naître un mythe. Cette bataille fut si marquante pour les soldats que son souvenir domina celui de toutes les autres, côté français et en partie côté allemand. L’enfer indépassable de Verdun, dont parlaient même ceux qui vécurent de plus grands enfers, fut l’emblème du « plus jamais ça, plus jamais la guerre ». Les anciens combattants en étaient tellement convaincus qu’ils ne manquèrent jamais les occasions de se rassembler pour conjurer le danger d’une autre guerre. La plus importante de ces manifestations eut lieu en 1936 à Douaumont. C’est à ce moment qu’Allemands et Français se rapprochèrent pour prononcer le serment de Douaumont. 30 000 rescapés du massacre, qui avaient tant souffert devant Verdun, se promirent la paix. Hélas ! ces anciens poilus et les Feldgrau (les « gris de campagne », allusion à la couleur de leur uniforme) se sont fait abuser par Hitler qui voulait la paix, lui aussi, mais avec un préalable : que l’Allemagne soit érigée en puissance dominant le monde.

Enfin, le souvenir de Verdun a joué un rôle clé au moment de la réconciliation franco-allemande. Certes, les cérémonies de juillet 1962 à la cathédrale de Reims avaient marqué la naissance du couple franco-allemand entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Ce dernier avait demandé au président français qu’il le convie au cinquantenaire de la bataille de Verdun en 1966, ce que refusa de Gaulle, rechignant à se montrer sur le champ de bataille avec un chancelier allemand. Malgré cela, il y eut à Verdun de nombreux gestes pour raviver l’amitié entre les deux pays. Les anciens combattants allemands, les Feldgrau de Verdun, étaient toujours les bienvenus. En 1979, c’est l’écrivain Ernst Jünger, fameux auteur des Orages d’acier, qui fut invité à présider les cérémonies du souvenir. Bien sûr, nos nations ont retenu l’instant historique du 22 septembre 1984 lorsque le président François Mitterrand attrapa la main d’Helmut Kohl à Douaumont. Ce geste majeur et spontané se fit en silence, un silence qui ne savait pas dire l’avenir mais fut un grand geste de recueillement en commun face à 300 000 soldats français et allemands morts pour leur patrie. Pour rien peut-être.

Est venu ensuite, point culminant à ce jour, le lever des drapeaux européen et allemand avec le drapeau français sur le toit du fort de Douaumont, le 13 novembre 2009. Avant que n’ouvre ses portes en 2016 le mémorial rénové qui sera désormais un mémorial franco-allemand de la bataille de Verdun.

A posteriori, le souvenir commun de la bataille aura apporté beaucoup de bien. Mais tout cela n’est rien de rien face au dégât humain qui a précédé. Une bataille où seule la mort triompha. 

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