Il y a quelque chose de Simone de Beauvoir chez Dora Maar. Même génération. Même traversée du XXe siècle. Même refus du mariage. Même fièvre émancipatrice. Mais, à la ­différence de la philosophe, Dora Maar la sulfureuse, l’explosive, Dora Maar la photographe aux ongles laqués, sort d’un double purgatoire. Comme si, plus de vingt ans après sa disparition, il était enfin possible de la dé­tacher de l’ombre portée de Picasso, dont elle fut la compagne durant dix ans, et de regarder sans préjugé son œuvre. Pour notre plus grand plaisir, une rétro­spective ouvrira ses portes début juin au Centre ­Pompidou. Rétrospective qui fera ultérieurement halte à la Tate Modern de Londres puis au J. Paul Getty Museum de Los Angeles. 

C’est l’occasion de découvrir une photographe et peintre qui n’a cessé de changer de style et de discipline, multipliant les audaces et les recherches. Une invitation à regarder son œuvre, dont de larges pans sont enfin révélés. Bref, la possibilité de considérer Dora Maar pour ce qu’elle est, une artiste, plutôt que de la réduire au cas d’une femme hystérique, sous prétexte qu’elle est allée au-devant des hommes dans sa jeunesse pour finir dévote, passé la cinquantaine. On a trop plaqué un schéma psychanalytique, voire psychiatrique, sur sa conduite, comme si son passage à Sainte-Anne autorisait toutes les interprétations. On a trop écrit sur sa vie, pas assez sur ses photos et ses peintures.

La redécouverte de son œuvre devrait aussi nous éviter de réduire Dora Maar au statut de victime du machisme de Picasso et permettre de comprendre que cette féministe savait se faire respecter. Ils avaient la langue espagnole en partage et c’était bien la première fois que Picasso pouvait aimer en espagnol. Dora Maar, quant à elle, pouvait librement se confronter au maître qu’elle s’était choisie.

Aujourd’hui, ses reportages à ­Barcelone ou à Londres, lorsqu’elle immortalise les ouvriers, les gosses des rues ou les ­musiciens aveugles, confirment la puissance de son travail. De même, ses photographies de l’époque du surréalisme, clichés d’un autre monde qui ouvrent sur celui de la suggestion et des songes, ou encore ses tableaux, aux limites de l’abstraction.

En dépit de cette mise en lumière, Dora Maar conserve sa part d’ombre. On ne sait rien, ou très peu, de ses dernières décennies de réclusion volontaire. Ses photographies les plus célèbres et les plus bouleversantes puisent dans son enfer à jamais cadenassé. Telle est la force de ce regard unique, magique et inquiétant sur notre monde. Un œil ardent. 

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