On connaît deux tirages de cette photographie de Dora Maar. Le premier, de grand format, appartient au musée Picasso. C’est une version sépia. L’autre, dans les collections du Centre Pompidou, plus petite, est rehaussée de couleurs (image ci-contre).

La première impression

D’emblée, on est saisi par l’étrangeté du personnage assis au premier plan, affublé d’une robe chiffonnée. Le décalage entre cette robe trop vraie et le corps de pierre, difforme, de cette femme accentue la surprise, qui se mue en malaise devant son cou démesurément allongé et sa tête d’alien. Ce n’est pas une femme de chair qui siège sur un petit banc de marbre, mais un monstre.

L’œil cherche alors un point d’appui dans le décor. Mais, à l’unisson du banc en déséquilibre, tout semble fuir dans cette galerie voûtée, dont les parois sont courbées comme si la scène était vue dans un miroir concave. Un univers cauchemardesque, qui fait penser à celui de Giorgio De Chirico (1888-1978).

Secrets de fabrication

Comment Dora Maar a-t-elle procédé pour créer cette photographie, immédiatement reconnaissable comme appartenant au surréalisme ? Curieusement, il ne s’agit pas d’un photomontage. La photographe a utilisé une figurine de moins de dix centimètres, qu’elle a posée contre la planche d’un album consacré au château de Versailles, paru en 1907. En courbant la feuille de manière irrégulière, elle parvient à creuser le sentiment d’irréalité qui imprègne toute la photographie et nous plonge dans un espace mental hallucinatoire. Qui a reconnu l’orangerie de Versailles ?

La colorisation du cliché au pinceau parachève le travail. En posant un fin vernis de mauve sur la robe de cette poupée de pierre, une couche de blanc veiné de gris pour le banc de marbre, ou d’ocre et de sienne pour les pierres de la galerie, l’artiste accentue le malaise : ces belles couleurs font ressortir l’horreur du visage de la jeune femme. Un visage précisément… sans visage.

Le titre

Dora Maar donnait rarement de titre à ses photographies. Elle a fait une exception pour celle-là. Qu’a-t-elle voulu dire en nommant cette œuvre 29 rue d’Astorg, l’adresse de son nouveau studio, ouvert en 1934 ? Peut-être que cette composition si forte, si dérangeante, inaugure sa nouvelle indépendance d’artiste. Elle n’a que 27 ans et se sent libre.  

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