Pourquoi jouons-nous ? Pour nous divertir certes, mais de quoi voulons-nous détourner le regard ? De la peur « de la mort et des maladies », répondrait le philosophe Blaise Pascal, qui inventa avec Fermat le calcul des probabilités et traduisit son amour de Dieu sous la forme d’un pari.

Nous jouons parce que nous sommes humains. L’historien néerlandais Johan Huizinga estime même que le jeu et la compétition ont été des instruments de création de la culture. Nous jouons depuis la nuit des temps, les historiens sont incapables de déterminer où et quand ont été lancés les premiers dés, à six ou huit faces, dont aucun coup n’a jamais pu abolir le hasard ni éteindre le plaisir vertigineux de défier la chance et le destin.

Le jeu est universel, y compris les jeux d’argent et de hasard, qui concerneraient toutes les latitudes, et toutes les catégories sociales. Le jeu déborde le ludique, les psychologues et les pédagogues en savent quelque chose. Il imprègne tellement d’activités humaines que la place manquerait ici pour en livrer une liste complète, du jeu démocratique à celui des comédiens ou des grandes puissances, en passant par les jeux de l’amour et du sport, les jeux de mots ou de l’esprit, sans compter une infinité d’expressions figurées auxquelles ces trois petites lettres prêtent leur sens.

Dans ce numéro, réalisé en partenariat avec La Française des Jeux, nous explorons la place des jeux de hasard et d’argent dans notre société. Cette entreprise historique et si particulière nous a ouvert les portes de son patrimoine culturel, de ses histoires et de son héritage. Avec elle, nous nous sommes demandé : pourquoi jouons-nous, mais aussi qui sont les joueurs ? Après tout, c’est un Français sur deux qui déclare jouer au moins une fois par an. Et comment comprendre le phénomène des addictions ?

Dans un grand entretien, l’historienne Élisabeth Belmas nous explique que « le jeu est un amalgame passionnant des sentiments les plus divers et des passions les plus extrêmes ». Elle fait sienne la définition du philosophe Colas Duflo pour qui « le jeu est une clôture ludique, un temps suspendu ». Son attrait est si puissant qu’aucun État, aucune religion n’ont jamais réussi à interdire la pratique des jeux d’argent et de hasard, tout au plus ont-ils pu en réguler les dérives.

En France, après un siècle d’interdiction, l’État a décidé en 1933 de relancer la Loterie nationale. Le succès des tombolas organisées par l’Union des blessés de la face pour venir en aide aux « gueules cassées » de la Grande Guerre, lui avait rappelé ce que François Ier puis Louis XIV avaient expérimenté : le jeu est une source possible de revenus. Dans notre poster, nous dressons un tableau des diverses contributions – écologiques, sociales ou culturelles – des loteries européennes, de la Hesse, où les gagnants choisissent leur projet environnemental, jusqu’à la forêt de -Verdun, lieu de mémoire et laboratoire de la biodiversité. Le jeu est un amusement, une joie – gaman en vieux haut allemand, mot qui a donné game – et bien plus que cela.