Alors qu’il est Premier ministre, Lionel Jospin se rend sur le plateau de Craonne le 5 novembre 1998. Un lieu symbolique situé sur la ligne de front du Chemin des Dames où périrent des dizaines de milliers de soldats pendant l’offensive Nivelle. Son discours, donné à l’occasion des quatre-vingts ans ade la fin du conflit, retient l’attention. « Certains de ces soldats, épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d’être des sacrifiés. Que ces soldats, “fusillés pour l’exemple” au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale », déclare-t-il.
Pour la première fois, une parole officielle rend hommage à ceux qui ont désobéi. Mais la démarche n’est pas au goût de tous. Cette dernière est jugée « inopportune » par Jacques Chirac, président de la République. Lionel Jospin est même taxé de « néorévisionnisme » par Philippe Séguin, alors président du RPR. Le général Marcel Bigeard, ancien résistant ayant combattu en Indochine et en Algérie, entretient pour sa part la polémique en tranchant : « Ce n’était pas la peine de remuer ce merdier. »
Quinze ans plus tard, en 2013, les mentalités semblent avoir évolué. « J’ai levé un tabou », confie alors l’ancien Premier ministre au Journal du dimanche. La même année, François Hollande demande que le musée de l’Armée intègre dans ses salles un espace dédié aux fusillés. Et les dossiers des conseils de guerre sont désormais consultables gratuitement sur Internet. Car connaître, c’est reconnaître, comme l’indique le rapport dirigé par l’historien Antoine Prost sur la question des fusillés de la Grande Guerre. Mais le sujet reste sensible.
Pour l’heure, aucun président en exercice ne s’est rendu à Craonne. François Hollande prendra-t-il cette initiative ?