Faut-il tout dire aux malades ?
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Un médecin doit-il mentir à son patient ?
Jusqu’en 2004, le code de la déontologie médicale (qui date de 1995) permettait aux praticiens d’apprécier « en conscience, [si] un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination ». Cette version a évolué, mais le code déontologique stipule toujours que « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état ». Chaque praticien a son avis sur le sujet, toutefois un arsenal juridique mis en place en mars 2002 sous l’intitulé « loi Kouchner », garantissant l’autonomie du malade, limite la liberté qui lui est laissée de choisir s’il veut dire ou non la vérité au malade. Cette réforme, tout en garantissant au patient la liberté de refuser un traitement, précise notamment que le médecin doit lui divulguer toutes les informations sur son état de santé. Seulement, de nombreux praticiens estiment qu’il leur revient de juger s’ils doivent délivrer l’intégralité d’une information.
Pour quelles raisons ?
La condition de la délivrance de l’information repose souvent sur la capacité du patient à la comprendre et à l’entendre, c’est-à-dire à la supporter. Les critères ne sont cependant pas uniquement psychologiques. Lors des enquêtes que j’ai réalisées au début des années 2000, un certain nombre de médecins fondaient leur évaluation de cette capacité du patient sur des critères sociaux : un patient issu d’un milieu social modeste était jugé moins à même de recevoir la vérité sur son état qu’un autre plus favorisé. Nombreux sont les exemples qui révèlent que les médecins parlent plus volontiers du diagnostic ou du type de traitement proposé et de ses effets au patient selon son milieu social et son capital culturel connus ou supposés.
Certains médecins estiment-ils qu’il est juste de parfois mentir à leurs patients « pour leur bien » ?
On peut distinguer deux approches : l’une morale et l’autre utilitariste. Certains médecins estiment en effet que le patient bénéficie d’un droit à l’information, que celle-ci doit être transmise pour elle-même, par principe. D’autres, au contraire, considèrent qu’ils peuvent ne communiquer l’information réelle que si cela est nécessaire pour que le patient se plie au traitement et comprenne son utilité. Au sein d’une même équipe, les soignants ne partagent pas toujours le même avis.
« De nombreux praticiens estiment qu’il leur revient de juger s’ils doivent délivrer l’intégralité d’une information »
Y a-t-il des moments charnières durant lesquels la question de la communication d’une information « vraie » est plus délicate ?
Cela dépend des patients et de leurs maladies. Bien sûr, le diagnostic et le pronostic – le jugement porté par le médecin sur la durée et l’issue d’une maladie – sont deux problèmes très différents de ce point de vue, mais certains diagnostics portent en eux un pronostic, et sont très difficiles à annoncer à un malade – comme un cancer métastasé, qui implique une évolution souvent défavorable. Et finalement, la question de la vérité de l’information se pose tout au long de la prise en charge du patient, de nouveaux examens faisant évoluer le volume d’informations à communiquer…
Peut-on parler de mensonge dans les cas où les connaissances médicales sont limitées, si bien que le praticien lui-même ne peut anticiper précisément l’évolution d’une maladie ?
C’est effectivement difficile, à proprement parler, concernant le pronostic, qui est marqué par une part importante d’incertitude liée à l’état de la connaissance à un moment précis d’une maladie, de l’efficacité d’un traitement médical… On peut ici distinguer deux définitions de la vérité, théorisées par le penseur américain Joseph Fletcher : la vérité logique, c’est-à-dire la vérité pour autant que nous la connaissions, et la vérité morale, qui correspond à ce que nous croyons être vrai.
En revanche, lorsqu’il s’agit de donner au patient une information relative aux résultats d’un examen, on peut parler de mensonge si un praticien lui divulgue une information erronée. Sans doute ces mensonges ou ces déformations de la vérité sont-ils énoncés dans le but d’en adoucir la brutalité. D’ailleurs, ils se font parfois par paliers. Lors de mon enquête, j’ai rencontré ce cas intéressant : un patient devait se faire enlever, d’après ce que lui avait dit son médecin, des polypes, c’est-à-dire des excroissances ou tumeurs bénignes se développant sur les muqueuses ; or, après l’opération, et face aux suspicions du patient, le médecin a changé de discours et lui a avoué qu’il s’agissait en réalité de lésions pré-cancéreuses ; mais, finalement, une fois la consultation avec le patient terminée, le médecin m’a confié qu’il s’agissait d’un véritable cancer… Dans ce cas précis, le médecin a produit un premier mensonge, puis, une fois pris en défaut, un second, mais qui se rapprochait un peu plus de la vérité.
Qu’en est-il du malade ? Peut-il mentir à son médecin ? Pour quelles raisons ?
Absolument. Ces mensonges reposent principalement sur la crainte du jugement. Des patients peuvent, par exemple, omettre de dire qu’ils n’ont pas pris leur traitement ou qu’ils ont fait quelque chose qui leur était déconseillé, voire interdit… Là encore, des mécanismes sociologiques influencent la relation entre un médecin et son patient, dans la mesure où les personnes issues de milieux populaires sont plus susceptibles que les autres de craindre la réprobation du médecin, et donc de lui mentir. Reste que la question de la vérité et du mensonge dans la relation patient-médecin revient régulièrement dans les débats de société, dans un souci de garantir au patient une plus grande autonomie.
Propos recueillis par EMMA FLACARD & MARIE COGORDAN
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