Comment vivre après le pic pétrolier, lorsque l’énergie sera devenue rare et chère ? À quoi ressemblera le territoire de notre commune ? notre vie quotidienne ? Comment piloter au mieux la descente énergétique qui refermera l’ère des énergies fossiles ? Ces questions sont au cœur du mouvement des Transition Towns qui, depuis une dizaine d’années environ, se consacre à l’invention de modes de vie postpétrole et postcroissance.

Bien que la théorie générale du pic pétrolier ait été démontrée dès les années 1950, il aura fallu plusieurs ­décennies avant que cette question soit réellement politisée par les ­réseaux écologistes. Pour Rob Hopkins, professeur de permaculture, fondateur du premier groupe de transition à Totnes (Royaume-Uni) et auteur du Manuel de transition (Écosociété, 2010), le déclic a eu lieu vers 2004, lorsqu’il a compris que la matérialisation du pic pétrolier global pourrait rapidement mettre un terme définitif à la société de croissance qui est la nôtre. Car l’énergie abondante et bon marché est le carburant de la croissance… Et à l’inverse, son renchérissement et sa raréfaction peuvent faire sombrer les économies dans la récession et les foyers dans la précarité énergétique.

Depuis 2005, des dizaines d’initiatives de transition ont été lancées, d’abord dans le monde anglophone, puis un peu partout ailleurs – y compris en France, par exemple dans le Trièves, à la jonction des départements de l’Isère, des Hautes-Alpes et de la Drôme. Il s’agit le plus souvent de groupes citoyens qui cherchent à ­initier une dynamique locale de réflexion et d’action pour préparer leur territoire à la décroissance économique et à ce lent processus de renchérissement et de raréfaction de l’énergie qu’induit le pic pétrolier. Par des récits et par des expérimentations concrètes, ils procèdent à un travail d’animation politique locale visant à faire émerger un nouveau projet de territoire postcroissance pour leur commune.

Concrètement, le groupe fondateur de Totnes est celui qui est allé le plus loin en ce sens. Son principal fait d’armes a été la rédaction collective d’un plan local de descente énergétique, qui raconte comment ce territoire pourrait être profondément réorganisé en une vingtaine d’années, dans un subtil mélange d’anticipation volontariste et d’adaptation ­improvisée au renchérissement de l’énergie. Au terme de ce récit, vers 2030, les narrateurs imaginent une ville où les voitures sont devenues rares, où l’agriculture biologique ­périurbaine fournit l’essentiel de l’alimentation, où le tourisme local a ­remplacé les voyages intercontinentaux… Des dizaines d’habitants ont participé à cet exercice d’écriture ­collective, produisant ainsi un exemple original de prospective citoyenne dans lequel la croissance n’a plus sa place. La reterritorialisation d’une multitude d’activités aujourd’hui délocalisées ou déléguées dessine alors un projet de « renaissance économique locale », davantage compatible avec la finitude des ressources fossiles.

Mais raconter n’est pas tout, et les militants de la transition s’attachent aussi à incarner cette trajectoire vers l’après-pétrole à travers une multitude d’initiatives – coopérative d’énergies renouvelables, marché de producteurs locaux, plantation d’arbres fruitiers sur des terrains publics, formations à la permaculture… Pas d’actions spectaculaires, mais une forte concentration d’expérimentations discrètes qui viennent étayer le récit de la transition locale vers l’après-pétrole, et dessiner ainsi les contours d’un territoire postcroissance.

Alors que le mouvement des Transition Towns s’apprête à fêter ses dix années d’existence, force est de constater que de nombreux groupes locaux se sont épuisés et dissous sans avoir beaucoup changé leur territoire. Mais quelques groupes comme celui de Totnes montrent qu’avec un travail d’animation politique bien mené, il est possible d’amener les citoyens à délibérer et à formuler eux-mêmes des propositions concrètes pour rendre localement possible une vie sans croissance. Cela réclame cependant un portage politique que peu d’élus semblent vouloir assumer, persuadés qu’ils sont de devoir tout sacrifier à un hypothétique retour de la croissance. 

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