Voilà plusieurs décennies que les scientifiques du monde entier nous alertent. Si nous voulons conserver une chance de sauver notre planète, les énergies fossiles doivent à présent rester sous terre. Le constat est simple, clair. Pourtant, les pays du Nord continuent de faire la sourde oreille en augmentant leur consommation de combustibles fossiles et de ressources naturelles, en multipliant les programmes d’écoblanchiment et les fausses solutions comme les OGM ou encore la REDD+, une initiative censée empêcher la déforestation. À la COP27, 600 lobbyistes étaient là pour représenter l’industrie des énergies fossiles, formant la plus grande des délégations. Je m’interroge : les élites des pays développés, les riches de ce monde, ont-ils vraiment envie de sauver notre planète ? Parce que nous, oui. « Nous », ce sont les femmes des pays africains, responsables de moins de 1 % des émissions de gaz à effet de serre et pourtant, avec les enfants, premières victimes de l’injustice climatique.

Dans les milieux ruraux, la vie des communautés repose quasi intégralement sur les femmes. Considérées comme les protectrices de la nature, elles sont chargées d’apporter la nourriture sur la table. Or, l’accaparement des terres par les compagnies minières et les agro-industries prive les femmes de l’agriculture. Lorsqu’elles ont encore accès aux terres et aux sources d’eau, celles-ci sont polluées par les déversions de substances toxiques utilisées pour extraire les minerais. C’est ce qu’a vécu, l’an dernier, une communauté de la République démocratique du Congo. L’installation d’une usine de chaux à Kabombwa a rendu malade et tué une partie de sa population.

Mais les conséquences ne s’arrêtent pas là, car là où s’abat la main des hommes surgissent les violences faites aux femmes. Les projets extractivistes, qui concentrent des hommes par centaines en un lieu, sont toujours accompagnés d’une augmentation des violences physiques et sexuelles. Les femmes et les jeunes filles, qui doivent souvent parcourir de longues distances pour trouver de l’eau ou du bois de chauffe, sont exposées à ces atrocités.

Les élites des pays développés, les riches de ce monde, ont-ils vraiment envie de sauver notre planète ?

WoMin, le réseau pour lequel je travaille, cherche à redonner aux femmes d’Afrique le pouvoir de dire non. Non aux violences, non au viol de leurs terres, non à la mort programmée de leur environnement, de leur planète. Nous avons compris que les voix des victimes de l’injustice climatique auront toujours plus de poids que celle de n’importe quelle ONG. Je pourrais vous raconter l’histoire de cette femme de Saint-Louis qui a perdu sa maison à cause de l’érosion côtière et vous m’écouteriez, mais mon récit n’aura pas le même impact que celui que ferait cette femme si elle prenait la parole pour vous dire comment, un soir, alors qu’elle était couchée, elle a senti l’eau toucher ses pieds. Comment, se rendant compte que sa case prenait l’eau, elle a mis ses enfants à l’abri avant de revenir sauver ce qui pouvait l’être et de fuir dans la nuit.

En Afrique, des femmes ont pris conscience que le travail invisible qu’elles exercent faisait tenir des pays entiers. Et elles se prennent désormais en charge. Pour elles, il n’est plus l’heure d’attendre l’aide de l’État ou de quelque coopérateur que ce soit. Les femmes africaines comprennent progressivement qu’elles sont les maîtresses de leur avenir. À Mar Lodj, au Sénégal, certaines se sont organisées en coopérative pour reboiser les mangroves dont elles dépendent. D’autres, alors même qu’elles sont, parce que femmes, privées du droit à la succession ou à la propriété terrienne, parviennent à récupérer des lopins de terre. Les femmes, une fois de plus, se retroussent les manches, mais ce n’est pas pour cela que les coupables ne paieront pas.

Ce jour-là, ils trembleront et elles, ces braves femmes porteuses d’espoir pour toute l’humanité, seront entendues

Un jour, viendra l’heure de la réparation. Nous nous y préparons en menant des analyses de coûts des préjudices subis par les communautés, tout en suivant de près les travaux du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM). Car la dette écologique et climatique que le Nord global doit à l’Afrique est bien plus importante que la dette économique qui nous est réclamée. Quelles pertes chaque fois qu’un village est chassé pour laisser place à un projet extractiviste, à un barrage ? Les habitants abandonnent leurs maisons, leurs écoles, les puits qu’ils ont construits, leurs églises, leurs cimetières, leurs ancêtres. Mais ils laissent aussi la richesse d’un territoire qu’ils avaient choisi, d’un fleuve qui les nourrissait, d’une végétation qui les soignait. Quel est le coût de cette perte-là ? Ces études aident les femmes à prendre conscience de ce qui leur est arraché et leur donnent la force de se soulever. Et quoi de plus effrayant qu’une paysanne éduquée ? En bâtissant des mouvements de femmes, porte-voix d’autres femmes restées dans leur village, dans leur hutte, dans leur case, c’est ce à quoi nous voulons parvenir. Un jour, un jour proche je l’espère, ces femmes se tiendront devant leurs dirigeants vendus, complices et criminels, puis devant les dirigeants du Nord, tout aussi guidés par l’appât du gain et par leurs intérêts égoïstes, et elles leur cracheront leur vérité crue. Ce jour-là, ils trembleront et elles, ces braves femmes porteuses d’espoir pour toute l’humanité, seront entendues. J’y crois. L’heure de la justice climatique a sonné. 

 

Conversation avec OUMOU KOULIBALY KONE & MANON PAULIC